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10:00| | Prédications | Sandrine Landeau

« Que fais-tu ici Elie
? » 1 Rois 19, 1-16

Que faisons-nous de nos échecs ? Et plus précisément de nos échecs spirituels ?

Ça peut être ce temps de retraite que vous avez agendé, auquel vous vous êtes préparé.e, par des lectures, des temps de prière, ou une intention. Vous en espérez un renouvellement de votre foi, un discernement pour une situation personnelle ou pour un engagement que vous hésitez à prendre. Et puis rien. Vous repartez aussi désorienté.e qu’en arrivant. Ou pire, quelque chose se passe, mais c’est un maëlstrom intérieur, vous avez l’impression d’être jetée dans vos ténèbres intérieures sans issue possible et vous repartez complètement déstabilisé.e.

Ça peut être ce beau projet d’Eglise, auquel vous avez réussi à rallier quelques personnes motivées, auquel vous croyez fort pour annoncer au plus grand nombre l’Evangile qui compte tellement dans votre vie. Tout est prêt, le jour J arrive… et c’est le flop. Personne ne vient. Ou bien selon le type de projet, au lieu de la paix que vous espériez c’est la discorde qui se lève et tout le monde se quitte fâché.

Ça peut être encore la transmission de votre culture et de votre foi à vos enfants, à vos petits-enfants. Vous essayez d’en parler, vous mettez vos enfants au kt, ou vous proposez à vos enfants d’y mettre les leurs, vous racontez les histoires qui vous touchent, celles qui sont liées aux grandes fêtes chrétiennes, vous essayez tant bien que mal de les amener au culte. Et puis rien. L’indifférence. Ou pire : le rejet. A moins que ça ne soit le contraire : le rejet, ou pire : l’indifférence.

Ça peut être aussi, parce que le spirituel ne se limite pas aux frontières de nos institutions religieuses et ecclésiales, cette relation à laquelle vous tenez, qui vous illumine et vous blesse à la fois, et à laquelle vous avez choisi d’apporter particulièrement du soin parce que vous sentez que c’est important en ce moment. Vous portez cette personne et votre relation dans votre prière, vous prenez la peine d’être présent.e, d’écouter, de reformuler, de parler en « je » pour dire vos blessures et vos besoins. Et rien ne bouge. Ou pire la personne se ferme, la relation s’envenime, voire se rompt.

Des situations comme ça, nous en avons tous connu et nous en connaîtrons encore.  Qu’en faisons-nous ? Que faisons-nous de ces petits et grands échecs spirituels ? Est-ce que nous les balayons d’un revers de manche en les minimisant – non mais en fait tu sais, cette retraite, je n’en attendais pas grand-chose d’autre que du repos en fait ? Ou bien est-ce que nous jetons l’éponge – vraiment, c’est la dernière fois que je propose quelque chose dans cette église, ça ne marche jamais, et puis tout est toujours trop compliqué ? Est-ce que nous cherchons à analyser les causes – oui c’est vrai, j’aurais du mieux communiquer, j’aurais pu mieux expliquer, et puis la situation était plus complexe que je ne l’attendais ? Est-ce que nous rejetons la faute sur l’autre – ce pasteur ne sait pas y faire, il n’a pas su intéresser les enfants à la Bible, et puis ses prédications franchement, qui arrive à suivre ? Est-ce que nous fuyons – pff, puisque Fred est tellement égoïste et ne comprend jamais rien, il n’est pas prêt de me revoir, j’ai assez donné comme ça, merci ?

Elie, le grand prophète Elie, est dons notre passage en plein dans ce questionnement autour de l’échec. Il sait plus quoi faire, où se tourner, sinon vers la mort. Comme prophète, Elie a pour fonction d’une part de rappeler le roi à ses devoirs spirituels envers Dieu, envers lui-même et envers son peuple et d’autre part de guider le peuple pour qu’il n’oublie pas l’importance de choisir la vie en toute circonstance. Il a fait du mieux qu’il a pu, vraiment. Il a tout donné, toute sa foi, toute son intelligence, toute sa ruse, toute son énergie. Et il a réussi : devant tout le peuple rassemblé, il a remporté le défi spectaculaire lancé aux prophètes de Baal et Astarté, le couple divin que le roi Achab et la reine Jézabel adorent. Baal et Astarté ont été ridiculisés, leurs prophètes éliminés, Yhwh – le Dieu d’Israël – est resté maître incontesté du terrain. Elie pensait avoir enfin mené à bien sa mission.

Mais non. Le lendemain, il reçoit le message de Jézabel, qui lui promet la mort. Elle ne renonce à rien. Au passage, et quoi qu’il en pense, Elie n’a pas tout raté Jézabel semble craindre suffisamment Elie et son dieu pour lui laisser le temps de fuir plutôt que de le tuer purement et simplement.

Elie choisit de s’enfuir pour échapper au moins à la mort promise par une reine qu’il abhorre. Mais la fuite n’est que le début du chemin. Comme nos manières ne pas nous attarder sur l’échec ne sont que le début du chemin. Bien vite pour Elie arrive le désespoir devant sa propre nullité. Ce sentiment vient parfois plus longtemps après l’échec, avec plus ou moins de force selon les situations, mais il est rare d’échapper complètement à ce constat : cet échec, c’est parce que je n’ai pas été assez ceci, assez cela. Pour Elie c’est « je ne suis pas meilleur que mes pères » – les prophètes qui l’ont précédé et qui eux aussi ont échoué. Nous pouvons faire ce même constat, ou un autre : « je ne suis pas fait pour ce rôle », « je suis bien trop attirée par le monde », « je ne prie pas comme il faut / pas assez ». Ce constat de nullité, ou au moins d’insuffisance, il peut être réellement dévastateur !

La promesse qui traverse toute la Bible, c’est que quels que soient nos chemins pour échapper à l’échec, pour le fuir, Dieu nous y rejoint. C’est ce qui arrive à Elie : alors qu’il attend la mort dans le désert, une mort venue de Dieu cette fois, un messager vient pour prendre soin de lui. Elie n’a d’abord aucune conscience de la présence de ce messager puisqu’il dort et qu’il se croit loin de tout secours. J’aime cette idée que l’amour est déjà là, alors même que je ne le vois pas, alors même que je ne le sais pas encore, alors même que j’y ai renoncé parce que je sais que j’en suis profondément indigne.

J’ai choisi ici de garder dans la traduction le sens littéral du mot hébreu malach – messager – et non le traditionnel « ange », pour que nous nous rappelions que ces récits parlent aussi du quotidien. Ce messager, ce n’est pas nécessairement une vision mystique ni un petit poupon joufflu, c’est aussi cette voisine qui prépare pour une jeune mère épuisée un repas tout prêt, ce conjoint qui apporte son thé préféré à son aimé.e qui fixe le vide depuis des heures, en boule sur le canapé.

Le messager ensuite touche Elie : un toucher doux, pour réveiller cet homme et le rappeler du côté des vivants, comme dans l’utérus c’est le toucher du fœtus qui est le premier sens à se développer et à le faire entrer en relation avec sa mère. C’est ensuite seulement que le messager lui parle pour l’encourager à manger, à boire.

Deuxième étape du retour vers la vie depuis le fond du constat d’insuffisance : manger et boire. Prendre soin, avec simplicité, de nos besoins vitaux, aussi longtemps que nécessaire. Pour Elie, le messager doit revenir deux fois, deux fois le toucher, lui parler, l’encourager à manger et à boire. Et cette deuxième fois, il ajoute un objectif : un chemin à parcourir. Un objectif de mouvement, pas de but à atteindre.

S’il y a un chemin, c’est que l’échec d’Elie n’est pas la fin de son chemin. C’est que son insuffisance, son impuissance – pas plus que les nôtres – ne signifient qu’il n’a plus sa place parmi les vivants. Dieu n’est pas un manager qui licencierait son prophète pour mission non remplie. Elie est en train de découvrir qu’il n’est pas l’employé de Dieu, apprécié tant qu’il est utile, mais son enfant bien-aimé, aimé de toujours à toujours…

Mais poursuivons, sur les traces d’Elie, le chemin de nos relèvements. Elie mange, boit, et se met effectivement en chemin. Un chemin qui dure 40 jours, comme un raccourci des 40 ans du voyage du peuple dans le désert, comme un condensé des 40 semaines d’une grossesse. Elie semble tout à coup savoir où aller : la montagne de l’Horeb, là où Moïse a rencontré Dieu, là où Dieu a donné à son peuple libéré des paroles pour le guider. Et même plus précisément dans la grotte de Moïse, là où Dieu lui a expliqué qu’il ne massacrerait ni ne renierait le peuple impatient qui s’était fabriqué un veau d’or mais qu’il allait pardonner, accueillir, aimer. Perdu, Elie retourne en quelque sorte à la source et se rapproche d’une expérience proche de la sienne : Moïse a échoué lui aussi à garder le peuple dans le droit chemin. Ça peut être un indice pour nous : une fois sorti.es du plus profond du désespoir, chercher la convalescence du côté de la source et des expériences qui nous parlent. Prendre le temps de réfléchir au fondement de notre foi, de notre appel, de notre engagement, nous tourner vers ce que nous savons de Dieu, par la tradition, par la réflexion, par notre expérience personnelle et par celle des autres.

Une fois-là, Dieu s’adresse à Elie et lui demande : « Qu’y a-t-il pour toi ici Elie ? ». Une question qui poursuit le chemin, intérieurement cette fois. Maintenant que tu es là, que tu as choisi, au moins pour un bout, la vie, que veux-tu ? De quoi as-tu besoin ? Quel est ton élan le plus profond ? Ce qui est pour Elie n’est pas ce qui était pour Moïse. Et ce n’est pas ce qui est pour moi. Ce n’est pas ce qui est pour vous.

Ce dont Elie a besoin d’abord, c’est se dire, de mettre des mots sur ce qui s’est passé. Se raconter, se dire, et se dire à Dieu. Le déposer pour éviter que ça ne s’infecte à l’intérieur de lui.

Dieu propose alors un traitement spirituel qui peut sembler étrange : une rencontre en forme de devinette ou de cache-cache. Je fais passer devant toi plusieurs manifestations possibles de moi-même, sauras-tu reconnaître celle dans laquelle je suis réellement ? Ce qui est intéressant, c’est que les premières manifestations - (la tempête, le tremblement de terre et le feu), dans lesquelles Dieu n’est pas ce jour-là pour Elie, sont bel et bien, ailleurs dans la Bible, des manifestations divines. Mais ce jour-là, pour Elie, Dieu n’est pas là, il est dans la voix d’un silence ténu. Ce n’est pas une dénégation des autres manifestations, ce n’est pas dire que Dieu est cette voix de silence ténu. C’est un rappel pour Elie que Dieu n’est pas seulement dans la puissance éclatante, il est aussi dans la puissance d’une parole d’amour à peine murmurée, dans un silence qui laisse résonner cette parole. Et il est au-delà de tout cela. Elie retrouve son discernement : il parvient à (ré)entendre la voix du silence.

Ça ne règle pas tout, loin de là. Preuve en est que lorsque Dieu pose à nouveau la question « qu’y a-t-il ici pour toi Elie ? », Elie répond mot pour mot la même chose que la première fois, comme si la rencontre n’avait rien changé. L’effet du traitement n’est pas instantané. Elie a besoin, encore, de dire ce qui lui est arrivé. Comme pour s’en convaincre et en convaincre Dieu. Dieu complète alors le traitement par un envoi : une mission nouvelle, partagée avec un successeur.

Alors que faire de nos échecs ? Chacun, chacune nous en faisons ce que nous pouvons avec les forces, les connaissances et les ressources qui sont les nôtres sur le moment. Mais peut-être que là n’est pas vraiment la question. Peut-être que la question est plutôt : que fait Dieu de nos échecs ?

Ce que nous dit le récit d’Elie à l’Horeb, c’est que Dieu n’est pas étranger à l’échec, que l’échec soit le sien – car oui Dieu échoue dans la Bible, à de nombreuses reprises – ou le nôtre : l’échec ne lui fait pas peur, ne le rebute pas, ne le met pas en colère. L’échec fait partie du chemin, il n’en est pas l’arrivée, pas plus qu’une quelconque réussite d’ailleurs, parce que le chemin reste. L’échec est une occasion de réorientation, il révèle le besoin d’autres ouvertures, ou bien d’une transformation, d’un passage. Et le Dieu dont nous parle la Bible est précisément le Dieu des ces passages et de ces transformations. Il est le Dieu qui sans cesse nous appelle : « Lève-toi, mange, va sur ton chemin. » Alors allons sur nos chemins, ces chemins qu’il fait siens, sans craindre nos échecs passés ni à venir, sans craindre les siens, puisqu’il est le Dieu des matins de Pâques.

Amen

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