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10:00| | Prédications | François Garaï et Sandrine Landeau

Je tiens à remercier la pasteure Sandrine Landeau et le Conseil de la paroisse Saint-Pierre-Fusterie de m'avoir invité à m'adresser à vous aujourd'hui. Ce privilège est le reflet d'une réalité genevoise, celle de l'ouverture à l'autre, dans l'écoute de sa singularité et dans le partage des textes qui nous rassemblent.

Dans un premier temps, j'avoue avoir été étonné du choix des livres d'Ezra et de Néhémie. Ce ne sont pas les livres les plus denses comme la Torah, le Pentateuque ; ce ne sont pas les plus poétiques comme les Psaumes, les plus enjoués comme le Cantique des cantiques, les plus éducatifs comme les Proverbes ou les plus questionnant comme Job. Pourtant, en les lisant, on découvre une certaine proximité avec notre temps. Nous vivons le temps de la laïcité ; pour certains il s'agit du temps de l'éclipse de Dieu et pour les plus radicaux, de la mort de Dieu. Or les livres d'Ezra et de Néhémie nous disent qu'en tout temps et quelles que soient les circonstances, la reconstruction est possible, que Dieu חי וקיים vit pour toujours.

Une remarque préliminaire. Le nom de Dieu est une combinaison du verbe ETRE à la 3ème personne du singulier, au passé, au présent et au futur, ce qui signifie, entre autres, que le temps n'a pas incidence sur Dieu, car Il est hors du temps. C'est aussi pourquoi il est hors de l'espace et hors de la matière. Penser et comprendre cela n'est pas possible pour nous qui sommes enfermés dans le temps et dans l'espace et composés de matière.

Si tel est le cas, si Dieu est hors du temps, hors de l'espace et hors de la matière, peut-Il être de notre monde ? Et nous, êtres de chair et de sang, pouvons-nous rendre Sa Présence manifeste ?

Pour essayer de répondre à cette question, arrêtons-nous au 8ème chapitre de Néhémie, נחמיה en hébreu, qui signifie Dieu a réconforté et laissons-nous être guidés par ses paroles.

Néhémie qui vivait à Suse, entendant les nouvelles provenant de Judée, abandonne son poste d'échanson du roi perse pour retourner à Jérusalem, reconstruire la ville, ses murailles et son Temple, s'affranchir des pressions militaires de ses voisins, libérer les Judéens des dettes qu'ils avaient pu souscrire et permettre à la société juive de vivre la renaissance nationale et spirituelle tant espérée, et, grâce à ce renouveau religieux et social, de célébrer Dieu et de vivre une certaine proximité avec LUI ou ELLE.

Une question à laquelle le chapitre 8 de Néhémie tente de répondre est donc : Comment faire entrer Dieu dans notre monde ?

Néhémie nous donne plusieurs clefs.

Nous lisons au début du chapitre 8 (1-8)

1 Tout le peuple se réunit… 2 Ezra le prêtre apporta la Torah devant l'assemblée… le premier jour du septième mois. 3 Il en fit la lecture depuis l'aurore jusqu'au milieu de la journée, en présence des hommes, des femmes et de tous ceux qui pouvaient comprendre. Le peuple était tout oreille pour entendre le livre de la loi…  8 les Lévites expliquaient la Torah au peuple… en indiquaient le sens, de sorte que l'on comprit le texte. 9 Néhémie… dit au peuple tout entier : "Ce jour est consacré à l'Eternel, votre Dieu ; ne manifestez pas de deuil et ne pleurez point !" Car tout le peuple pleurait en entendant les paroles de la Torah

Pour peuple d'Israël d'alors, la lecture de la Torah est à la fois un moment de pleurs et un moment de joie. Un moment de pleurs car elle génère une douloureuse remise en question, et un moment de joie, car cette remise en question est salutaire et ouvre une nouvelle ère : celle de la réconciliation avec Dieu.

Aujourd'hui également, les textes bibliques nous confrontent à notre réalité. Ils nous questionnent et nous mettent à mal. Ils sont aussi source de réconfort et d'ouverture vers de nouveaux horizons, comme un maître qui nous indique une voie ignorée jusque-là. Pour reprendre le livre des Proverbes, ces textes sont un arbre de vie pour ceux qui s'y attachent et ceux qui s'appuient sur eux y trouvent le bonheur (Prov 3 :18) ; un arbre de vie, comme celui du jardin d'Eden.

Se confronter à la parole divine, telle que chacun de nous la conçoit, c'est se remettre en question et être invité à trouver un chemin nouveau. C'est méditer sur notre condition humaine et découvrir au fond de nous, la lumière qui émane de Celui qui est au-delà de tout et qui l'a implantée en nous.

Nous pourrions nous arrêter là et nous dire que nous avons trouvé le chemin qui mène à une vie en accord avec la volonté divine, une voie pour approcher l'Ineffable et, grâce à nos actions, le rendre présent dans notre monde.

Néhémie ne s'arrête pas en si bon chemin. Il ouvre un deuxième pan, celui de la réjouissance, des agapes joyeuses grâce au partage avec l'autre, comme il est dit :

10 …"Allez, mangez des mets succulents, buvez des breuvages doux et envoyez-en des portions à ceux qui n'ont rien apprêté, car ce jour est consacré à notre Dieu. Ne vous attristez donc pas, car la joie en l'Eternel est votre force.

Après le temps de l'écoute et de l'introspection, vient le temps du social, de la rencontre et du partage. On quitte l'individu pour s'ouvrir à la société, ce sur quoi insiste la suite du texte qui marque le troisième temps du renouveau :

 14 Ils trouvèrent écrit dans cette Torah que l'Eternel avait ordonné… que les enfants d'Israël devaient demeurer dans des cabanes pendant la fête qui arrive au septième mois, 15 et qu'ils devaient publier… l'avis suivant : Répandez-vous dans la montagne et rapportez-en des feuilles d'olivier…, des feuilles de myrte, des feuilles de palmier, des feuilles d'arbres touffus, pour faire des cabanes…sur le toit de leurs demeures…" 16 Le peuple sortit et en apporta…  17 Toute la communauté de ceux qui étaient revenus de captivité établirent des cabanes et demeurèrent dans ces cabanes… La joie fut extrêmement grande.

Ce temps est celui de l'accomplissement des Mitzvot, des Commandements.

Commandement, ce terme : est presque inaudible aujourd'hui, tant la liberté individuelle est élevée au-dessus de tout principe.

Il faut savoir que seuls deux des Dix Commandements sont formulés à l'impératif. Les autres commandements de la Torah le sont au futur ; non comme un ordre comminatoire, mais comme une invitation d'accomplir pour un temps à venir.

Ce troisième pan de notre Tradition, est celui de la pratique. Or elle ne se limite pas à des rituels religieux, elle traverse notre existence quotidienne.

Vous connaissez d'ailleurs certains de ces commandements et vous les pratiquez également, dans le domaine de l'éthique en particulier. Dans le Lévitique, ils nous invitent à aimer l'autre comme soi-même et à aimer l'étranger comme soi-même (19:18,34). Ces commandements peuvent sembler évidents à certains qui, poussés par une émotion intérieure, les enjoint d'être à l'écoute de l'autre et de ses besoins, aiment l'autre simplement, suite à une décision personnelle et en toute liberté ?

Alors, pourquoi les prescrire ?

La tradition juive affirme que, puisque cela entre dans le cadre des commandements, c'est afin que nous comprenions que venir en aide à ceux qui sont dans le besoin, respecter les anciens, juger avec discernement et clémence ; qu'agir ainsi est mettre en application des commandements. C'est pourquoi, le contentement et la fierté que nous pourrions ressentir en œuvrant de la sorte, n'ont pas lieu d'être. Rappel à l'humilité si nécessaire dans notre monde.

Et l'accomplissement d'un commandement s'accompagne de l'énoncé d'une bénédiction : Béni sois-Tu Eternel, notre Dieu roi du monde, qui nous as sanctifiés par tes commandements et nous a enjoint d'accomplir tel ou tel acte. Prononcer cette bénédiction, c'est affirmer agir de sa propre volonté, dans la pleine conscience et en conformité à la Tradition.

Dans la vie courante, des bénédictions peuvent également être prononcées. Ainsi, en vivant un moment particulier ou nouveau dans ma vie ou dans l'année, je suis invité à louer Dieu et à dire : Béni sois-Tu Eternel notre Dieu, roi du monde, qui nous as accordé la vie, nous as maintenu en existence et nous as fait atteindre ce moment. Dire une telle bénédiction, c'est prendre conscience de la réalité de notre existence, c'est être présent à nous-mêmes et reconnaître notre insertion dans le monde et dans le déroulement du temps, et affirmer que la vie nous a été accordée par Qui a créé le monde.

Par la bénédiction, nous répondons ainsi à un rabbin qui portait un prénom proche de celui de Néhémie : le rabbin Mena'hem Mendel de Kotzk. Il posait cette question : Où trouver Dieu ? et il répondait : Là où chacun le laisse entrer. Il affirmait ainsi que chacun a la capacité de rendre la présence de Dieu, manifeste en notre monde. Sa Présence, שכינה en hébreu, d'où שכן le voisin. Les paroles de Mena'hem Mendel de Kotzk nous rappellent que nous avons la capacité de faire entrer la présence divine dans notre monde et que Dieu n'attend que cela : devenir notre שכן, notre voisin. C'est donc à travers nos pensées, nos actes et nos paroles que ce voisinage acquiert une virtualité si proche de la réalité que Dieu devient notre compagnon de route, de souffrances comme de joie.

Ainsi, le chemin que propose le chapitre 8 de Néhémie est composé de plusieurs étapes qui peuvent être résumées ainsi : introspection, ouverture vers demain, partage avec l'autre, accomplissement et conscience de notre existence au sein du monde.

Nous pouvons tous tracer notre voie pour répondre à la question : Comment rendre la présence divine évidente dans notre monde ? Pour ce faire, dans la pleine conscience de notre existence et du monde qui nous entoure, nous pouvons marcher côte à côte, chacun à son pas, chacun à son rythme, vers des temps de lumière, de partage et de paix. Et, devenant voisins les uns des autres, Dieu pourra devenir notre voisin, à tous.

 

François Garaï

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