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10:00| | Prédications | Emmanuel Fuchs

Matthieu 10, 37-42

Prédication

L’avantage ou l’inconvénient en suivant le lectionnaire, c’est selon la manière de voir les choses, c’est qu’on tombe sur des textes que l’on n’aurait pas forcément choisis !

Aimer le Christ plus que son père ou sa mère, aimer le Christ plus que ses propres enfants ! Voilà des paroles bien dures et bien difficiles à entendre et à comprendre. Il faut l’admettre. Pour moi qui suis un papa poule et un grand-papa gâteux, j’ai beaucoup de peine avec ces propos de Jésus qui, de plus, semblent en contradiction avec 95 % de ses paroles qui invitent à l’amour et à la réconciliation. Ici la foi semble au contraire une raison de division, de rupture de liens. Quand en plus Jésus rajoute qu’il faut porter sa croix pour le suivre, je ne trouve pas ça très porteur comme message ! Jésus était-il de mauvaise humeur, énervé, contrarié pour tenir de tels propos ?

Qu’est-ce que Jésus a donc voulu dire à travers ses propos tellement durs en apparence ? Plaçons d’entrée ces versets dans leur contexte. Tout le chapitre concerne en fait le prochain envoi en mission des disciples. Ils vont devoir y aller, affronter le monde et Jésus leur annonce sans détour que cela ne sera pas une partie de plaisir. Il ne s’agira pas pour les disciples de simplement suivre des prescriptions religieuses, mais de reconnaître que l’amour supplante la loi religieuse et donc de prendre des risques, de vivre l’engagement dans toute sa radicalité. Jésus leur parle cash, plus haut au verset 21 Jésus annonce les oppositions et même les persécutions à venir. On ne peut décider de suivre le Christ et continuer à vivre comme avant. Etre disciple du Christ doit avoir des implications dans la vie quotidienne, hier pour les disciples comme aujourd’hui pour nous.

Je ne peux vouloir être disciple du Christ en espérant que cela soit à la condition que cela ne bouleverse pas trop ma vie, que cela ne change pas mes projets, que cela ne me conduise pas à faire ce que je déteste ou à aimer les personnes que je ne veux pas aimer.

Alors bien sûr que jamais le Christ nous invitera à rechercher la souffrance ou les difficultés. Il n’y a pas pour le Christ de pédagogie de la souffrance, aucun mérite particulier à rechercher la souffrance. Etre disciple ce n’est pas être masochiste ! Mais suivre le Christ ce n’est pas un chemin de cocooning spirituel. Ce n’est pas seulement un petit plus pour notre vie dont on se sert quand on en a besoin. Un peu de baume spirituel. Il faut reconnaître que la foi nous implique, nous engage, parfois nous dérange et nous invite à quitter notre confort. Il nous faut le reconnaître ne serait-ce que par égard pour tous les martyrs chrétiens d’hier et d’aujourd’hui qui ont payé et continuent de payer de leur vie ou de leur liberté le fait suivre le Christ.

Chaque mois, l’association Solidarité chrétienne internationale envoie une liste de chrétiens persécutés pour lesquels nous sommes appelés à prier. Ce mois cela concerne des chrétiens en Egypte, au Pakistan, au Nigéria, en Iran. On pourrait hélas allonger cette liste. Notre histoire protestante, heureusement pour nous reléguée au passé, nous rappelle que pour nos ancêtres la foi a souvent impliqué de sacrifices, des ruptures, des choix douloureux et même parfois des ruptures familiales. Chaque année avec les catéchumènes, nous arrêtons dans la maison de Pierre et Marie Durand et nous visitons la Tour de Constance où Marie y fut retenue des dizaines d’année. Cette visite n’a pas pour but de faire l’apologie des martyrs protestants mais de nous faire réfléchir aux engagements que nous sommes prêts à prendre au nom de la foi.

Alors oui nous pouvons nous réjouir que nous ne sommes plus menacés de persécutions, mais ne faisons à l’inverse par facilité de la foi un choix un choix mou, un petit appendice à notre vie, une pommade spirituelle. La foi doit demeurer le moteur de notre vie, le cœur de notre vie et donc un engagement fort !

C’est je crois ce que le Christ essaie de nous dire quand il affirme que celui qui veut assurer sa vie la perdra. Je ne peux vouloir être disciple en continuant prétendre diriger seul ma vie. Je crois que c’est une des dérives de notre mode de vie : penser qu’on peut par ses propres compétences, son argent, sa bonne santé, son travail en quelque sorte garantir sa vie. La foi au contraire c’est la reconnaissance que je ne peux garantir ma vie par moi-même, d’abord parce qu’elle m’est donnée, qu’elle est fragile et qu’elle vient de plus loin que moi. Je ne peux être l’ancre de ma propre vie. Je ne peux assurer ma vie. En revanche je peux décider de la faire reposer en Christ. C’est peut-être le premier mouvement de la foi : oser la démaitrise ; lâcher prise. Accepter de ne plus contrôler, mais faire confiance. Mourir à cette prétention de tout contrôler pour naître à une nouvelle forme de vie. C’est peut-être cela que veut dire : porter sa croix.

Et permettez-moi cette réflexion un peu personnelle et contextuelle ; ce qui est vrai de ma vie, l’est tout autant pour notre Eglise. Nous ne pourrons garantir son avenir par nos seuls efforts, une nouvelle structure ou notre argent, son avenir ne peut reposer qu’en Christ. Il faut humblement le reconnaître dans une démarche de foi.

Ma vie ne repose pas en moi, mais pas plus que l’amour non plus dont je suis capable. L’amour que je peux ressentir, offrir prend sa source dans le Christ ; il s’enracine dans l’amour du Christ dont je suis aimé. Comme l’écrit Marion Muller Collard : « Sans lui (le Christ) j’aurais aimé mes enfants, mais saurais-je les aimer de l’amour qui laisse libre d’être, de devenir, de quitter ? Saurais-je les aimer comme des enfants de Dieu et non seulement comme la continuité de moi-même ? »

C’est parce que je suis aimé d’un amour radical, d’un amour inconditionnel, que je suis capable d’aimer. L’amour que je peux avoir pour mes proches, aussi fort et puissant soit-il prend sa source dans cet amour premier dont je suis béni. Et je me dois de le reconnaître. Je discute toujours de cela avec les couples dont je prépare le mariage : l’amour véritable n’est pas un sentiment que je peux générer de moi-même, comme la colère par exemple ; si je peux facilement m’énerver, je ne peux pas décider un matin de sortir dans la rue pour aller aimer quelqu’un comme j’aime mon épouse ou mes enfants. Un jour ce sentiment nous habite, il faut savoir alors le recevoir et surtout l’entretenir.

C’est ainsi que je comprends ces versets difficiles. Dans la reconnaissance de la primauté de l’amour du Christ, mais jamais Jésus ne pourrait souhaiter tel un gourou mal intentionné, la destruction des liens familiaux. Il est vrai toutefois que suivre le Christ peut parfois nous mettre en porte à faux. Porte à faux par rapport à notre famille, nos amis, nos collègues de travail. Et c’est une situation extrêmement inconfortable, qui ne nous conduit pas au martyr mais peut être terriblement déchirante et difficile à vivre. Et il n’est pas facile dans ces situations de trouver le juste chemin entre l’attention à la famille, l’amour conjugal et l’aspiration spirituelle que l’on peut avoir. Aujourd’hui encore hélas, il arrive que des familles ou des couples se déchirent sur ces questions, car la foi touche des zones très sensibles de notre être profond.

Lorsqu’on se met à suivre le Christ, à écouter sa Parole, à se laisser guider par l’Esprit, on mesure combien la foi est puissante, combien elle possède une force de vie inouïe, cette force de résurrection. Cette force-là créée inéluctablement de remous, elle fait bouger les choses, parfois en bien et parfois cela suscite des résistances.

Le Christ aujourd’hui nous le rappelle sans détour que si nous voulons le suivre, si nous voulons vivre de l’Evangile, à l’écoute de l’Esprit, il faut être prêt à parfois renoncer à ses rêves, ses ambitions, son confort, une certaine forme de facilité de vivre ou de penser. Cela est vrai dans nos relations personnelles et familiales. Je pense que cela est vrai aussi collectivement. Au moment où nos Eglises vivent une forme de décroissance, nous aurions tort de rester repliés sur nous-mêmes. Comme le Christ a envoyé ses disciples en mission et ne les a pas cantonnés au temple ou à la chambre haute, le Christ nous envoie. Nous devons oser la confrontation au monde et ce n’est pas facile, j’en sais quelque chose. Nous devons urgemment écouter le monde, entendre ce qu’il a à nous dire, comprendre sa langue pour redevenir les disciples missionnaires que le Christ envoie. Cela ne se fera peut-être pas au prix de nos relations familiales, mais peut-être, probablement de nos habitudes ecclésiales. Si nous ne sommes pas prêts à renoncer à quelque chose, si nous ne sommes pas prêts à une forme de risque, de lâcher prise, de saut de l’inconnu, de confiance alors nos paroles risquent de sonner creux et nous ne serons pas à la hauteur de la tâche confiée.

Les disciples ont dû être bien empruntés au moment de partir en mission, eux simples pécheurs, ouvriers et paysans qui devaient être de piètres prédicateurs. Et que dire de leur mission renouvelée à la suite la mort du Christ. Ils ont sauté dans l’inconnu ; après Pentecôte ils ont fait confiance au souffle de l’Esprit. Nous aussi nous sommes un peu face à l’inconnu. Le monde change si vite, nos Eglises peinent à suivre. Chacun à sa mesure, chacun avec la force qu’il a (comme Gédéon) est appelé à remettre sa vie à plus grand que lui et à oser aller là où le Seigneur l’a envoyé ou placé, à la rencontre de ceux et celles que le Seigneur met sur notre route.

Le Seigneur nous en fait la promesse, pour nous il renouvellera sa force et son amour, mais il nous le demande nous devons faire preuve d’humilité, de confiance, de courage et d’audace.

Amen

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