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10:00| | Prédications | Sandrine Landeau

Comment vous reposez-vous ? Peut-être prenez-vous quelques jours loin du quotidien, à la montagne, dans un monastère, à la mer ou ailleurs ? Peut-être au contraire préférez-vous, pour vous reposer vraiment, rester chez vous, mais sans obligation sociale ou professionnelle ? Peut-être faites-vous une cure de lecture, de sommeil, ou de musique ? A moins que vous ne vous reposiez en passant du temps avec celles et ceux que vous aimez, remplissant ainsi votre réservoir affectif ? Ou en faisant des marches dans la nature ? Il y a bien des manières de se reposer, parce qu’il y a bien des fatigues. Quelle que soit la vôtre, je suis raisonnablement sûre qu’elle ne ressemble pas à celle que propose Jésus à ses disciples : cette sortie en barque vers un lieu désert qui tourne à la course poursuite avec une foule avide de rencontrer Jésus !

 

C’est un drôle d’épisode qui nous est raconté là, placé sous le signe d’une invitation repos qui ne semble pas se réaliser. Faut-il en conclure que Jésus ne donne pas le repos promis à ses disciples ? C’est une lecture possible : les choses ne se déroulent pas comme il l’avait prévu, l’endroit vers lequel il guide ses disciples est loin d’être désert, et la foule le prend de court. Jésus pourtant ne s’agace pas, ne renvoie pas la foule. Pris aux entrailles, il entre en résonance avec leur besoin, et s’adapte : il avait prévu de débarquer dans un endroit désert pour que ses disciples puissent se reposer, mais puisque la foule est là, il se met à enseigner. Ce qui offre quand même un répit supplémentaire aux disciples, qui ont le temps de cet enseignement pour souffler avant de s’inquiéter de l’organisation du repas de toute cette foule – immédiatement après notre passage se trouve en effet le récit de la multiplication des pains. Cela nous arrive aussi de prévoir des moments de calme, de retrait, seuls ou avec des proches, et de nous trouver sollicités de manière inattendue par des personnes ou des événements. Jésus nous montre ici comment l’empathie peut nous guider pour y faire face de manière juste.

Mais il y a me semble-t-il une autre lecture possible, dans laquelle on peut découvrir que le repos a bel et bien été offert aux disciples.

 

Le repos est loin d’être un thème anodin dans les récits bibliques puisqu’il fait l’objet d’un commandement divin. S’arrêter, faire place dans sa vie à autre chose qu’au faire et à l’avoir est une prescription, une invitation, un appel, qui vient de Dieu lui-même et qui nous rappelle que l’humain est appelé à plus qu’à travailler et accumuler des possessions. L’application dans le détail du commandement de faire shabbat donnait lieu à l’époque de Jésus à des débats sans fin pour savoir ce qui est permis ou non le jour du shabbat. Rappelez-vous les guérisons que Jésus opère comme par hasard des jours de shabbat. Mais il ne faudrait pas en conclure que Jésus remet en question le shabbat en lui même : on le voit en effet à plusieurs reprises se retirer pour prier, faire une pause. Et ici, il enseigne à ses disciples à faire de même : il les invite à faire shabbat même si ce n’est pas le jour prescrit pour cela, ce qui fait du shabbat non pas une obligation à respecter à jour fixe, mais une invitation à entendre et à vivre chaque jour de notre vie.

 

De quoi les disciples ont-ils besoin de se reposer ? Jésus les avait envoyés, deux par deux, enseigner dans les environs. Ils reviennent maintenant vers lui pour ce qui s’apparente à un rapport de mission : ils lui racontent ce qu’ils ont fait et enseigné nous dit le texte. Peut-être espèrent-ils une récompense, ou un compliment, ou constater qu’ils ont été meilleurs que les autres ? Ou au contraire un encouragement pour la suite de la mission ? Peut-être sont-ils inquiets de ce que le maître va penser de leur performance ? Peut-être que certains sont impatients de repartir, alors que d’autres reviennent échaudés par l’expérience. Nous ne savons pas dans quel état sont les disciples, nous savons seulement qu’ils disent à Jésus ce qu’ils ont fait et dit. Et que Jésus qui les écoute leur recommande le repos.

Je ne crois pas que ce repos soit ici une récompense pour le bon travail accompli, mais bien plutôt le constat d’une nécessité, comme après l’expiration vient l’inspiration. Ils ont beaucoup donné, il leur faut maintenant recevoir à nouveau. Car dans la tradition biblique, le repos est un don de Dieu qui renouvelle le corps et l’âme. Mais hier comme aujourd’hui les humains sont englués dans la logique du donnant-donnant, de la récompense et de la punition. Ne parlons-nous pas encore souvent de « prendre un repos bien mérité » là où nous devrions parler de « prendre un repos bien nécessaire » ? Oui, le repos, le shabbat, nous est nécessaire régulièrement, quoi que nous ayons fait, réussi ou échoué par ailleurs ! Et c’est le sens du jour hebdomadaire fixé pour le shabbat, ou des années de jachère pour la terre fixées tous les 49 ans : nous rappeler qu’il est temps de marquer une pause. C’est une discipline qui doit rendre libre, pas enfermer. Une discipline qui rappelle que le repos est d’abord un don qui rend possible une action créatrice et créative, pas une récompense de cette action. Avez-vous remarqué que Jésus ne dit pas à certains : « écoutez, vous avez moins marché, moins enseigné que les autres, j’emmène ceux-ci se reposer, vous, allez donc encore dans un ou deux villages puis rejoignez-nous » ? Non, tous se sont éloignés de Jésus pour aller enseigner, et maintenant ils reviennent vers lui et il les invite au repos. Prendre du repos régulièrement, aussi régulièrement qu’après l’expir vient l’inspir. Sans se poser la question de savoir si ce repos est mérité, et quelle que soit notre condition, que nous occupions un emploi rémunéré ou non, voilà ce à quoi nous invite Jésus à la suite de ses disciples.

Le repos du shabbat est aussi dans la tradition biblique le rappel de la libération de l’esclavage en Egypte. Il est un don qui libère de ce qui nous absorbe, de ce qui tend à devenir dans notre vie une idole – que ce soit le travail, la famille, un souci, une douleur, une personne, une addiction ou tout autre chose. Les disciples sont peut-être tout absorbés par leur tâche, ou par celles et ceux qui les sollicitent et qui sollicitent Jésus. Ou pas, mais il est sain (s-a-i-n et s-a-i-n-t), pour eux comme pour nous, de prendre un peu de champ par rapport à ce qui prend beaucoup de place dans nos vies : le don du repos participe à cela.

Le repos auquel Jésus invite ses disciples est auprès de lui, dans un lieu désert, à part. Les deux éléments sont importants pour comprendre de quoi il est question ici. Dans la Bible, les lieux déserts sont des lieux dangereux, mais aussi des lieux de maturation et de purification, des lieux d’éveil spirituel, des lieux de rencontre privilégiés avec le Dieu qui est avec son peuple, avec nous. Quand Jésus propose à ses disciples d’aller avec lui dans un lieu désert, c’est de cela qu’il est question, de mettre à part un temps pour mûrir spirituellement, soutenu.e par Dieu. Il est fondamental ici de souligner que c’est Jésus qui met ses disciples à part, qui choisit le temps, qui choisit le lieu : là où eux n’ont pas pensé, pas osé, lui prend soin d’eux. Dieu est toujours celui qui le premier prend soin de notre part la plus précieuse, celle qui nous permet de rester debout et d’avancer. Et d’ailleurs, le repos commence par un déplacement, ce qui peut nous paraître étrange, mais souligne justement que le repos dont il est question n’est pas le repos immobile de la mort, mais le repos qui permet d’avancer presque sans effort et qui libère en nous de nouveaux possibles. Les Evangiles nous montrent toujours Jésus en déplacement, allant d’un point à un autre, se remettant sans cesse en route, et remettant en mouvement celles et ceux qu’il rencontre. Le repos que Jésus donne n’est pas l’immobilité, mais la joie du mouvement.

C’est Jésus donc qui donne l’impulsion du mouvement vers le repos, et c’est Jésus encore qui choisit le mode de transport : une barque sur le lac. Avec Jésus, les disciples sont invités à se mettre en route pour se reposer, et à se mettre en route sur les eaux, qui représentent dans l’univers biblique le chaos originel, duquel Dieu a fait émerger la vie. Cette petite excursion en barque sur le lac peut donc représenter le fait de traverser avec Jésus les parts chaotiques qui nous habitent, pour aller vers un lieu de repos. Elle est, si on veut, l’équivalent de la traversée de la vallée de la mort évoquée dans le psaume 23 que nous avons entendu tout à l’heure. Dans la barque comme dans la vallée, nous ne sommes pas seuls : nous sommes guidés, entourés de soin et de tendresse par le Dieu que Jésus est venu manifester.

Mais à l’arrivée, pas de lieu désert, mais un lieu envahi par la foule qui s’est précipitée à la rencontre de Jésus, ou des disciples, ou des deux, ce n’est pas très clair. C’est du moins ce que notre premier mouvement nous fait comprendre. Mais je vous propose de lire autrement : et si le lieu désert, à part, dans lequel Jésus invite ses disciples, n’était pas le lieu où la barque accoste, mais la barque elle-même ? C’est en effet dans cette barque que les disciples sont dans un lieu désert, un lieu à part, seuls avec Jésus, et c’est bien là qu’il les a menés en premier lieu. Oui, le repos n’est pas à l’arrivée, mais dans le chemin avec Jésus dans la barque qui reste à la surface du chaos qui nous habite. Jésus ne donne pas dans ce trajet de consigne, ni d’enseignement, mais il est là, avec eux, avec nous, il contemple le lac comme il est, ses disciples comme ils sont. Il contemple ce qui en nous adhère à lui et ce qui résiste. Il regarde de son regard qui voit la vérité des êtres et qui les aime tels qu’ils sont. Sa simple présence aimante fait une différence. Elle donne de s’aventurer sur le lac, d’y vivre un temps de retrait, de repos.

A l’arrivée, Jésus offre autrement un renouvellement de l’être à la foule venue les attendre, cette foule qui les a poursuivi depuis la rive comme nous poursuivent parfois nos soucis, nos préoccupations : il se met à enseigner beaucoup. C’est une bonne nouvelle : nous pouvons laisser Jésus s’approcher d’abord de nos soucis, de cette foule qui nous presse de toute part, avant de nous en occuper comme il nous l’inspirera. Les disciples qui revenaient d’avoir enseigné, ont eu ce temps à part dans la barque, ils sont maintenant auprès de Jésus qui enseigne, et c’est seulement ensuite qu’ils seront à nouveau appelés à prendre eux-mêmes soin de la foule. C’est que le repos que Jésus offre n’est pas oisiveté, il est un temps de renouvellement de l’être qui nous donne de devenir à notre tour source de repos, de renouvellement pour d’autres. Et s’il nécessite un temps et un lieu à part, c’est pour tendre vers une vie tout entière habitée par ce repos en Dieu. Un repos qui n’est pas retrait loin des autres, mais attention à l’autre, à soi et à Dieu. Un repos qui n’est pas fuite devant ce qui nous arrive, mais vigilance et disponibilité à ce qui se donne à vivre ici et maintenant. Mon âme se repose en paix, sur Dieu seul dit le psalmiste (psaume 62) : c’est à la fois déjà un peu vrai et toujours encore à recevoir. Je vous invite à entendre cet appel au repos en Dieu, aujourd’hui et chaque jour !

Amen.

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