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10:00| | Prédications | Emmanuel Fuchs

Marc 5, 21-43

Voilà un texte bien connu, et d’une grande richesse de sens qui permet de ce fait de nombreuses approches et heureusement car ce n’est pas la première que je suis invité à le partager avec vous.

Voilà donc l’histoire de deux femmes que rien ne relie entre elles sinon l’expérience de la souffrance. Dans l’Evangile, la question de la souffrance n’est jamais loin ; que ce soit à travers les nombreux récits de guérisons ou à travers le récit de la passion où Jésus lui-même fait l’expérience d’une souffrance indicible, jusqu’à la mort sur la croix.

La souffrance demeure une énigme, une question source de toutes les difficultés et de tous les malentendus. Dieu est-il au courant que nous souffrons ? Si oui pourquoi apparemment ne fait-il rien ? Pire serait-il lui-même la cause de notre souffrance ? S’engager dans ce chemin, à la suite des amis de Job risque de faire du Dieu d’amour que nous chérissons un Dieu insensible, voire sadique, cruel.

Dieu serait-il plutôt celui que l’on peut appeler lorsque la souffrance nous touche, un Dieu magicien duquel on attend le secours immédiat ? Dans les deux cas, il y a un grand risque que notre foi ne résiste pas à l’épreuve de la souffrance si c’est à un de ces deux Dieu-là que nous en appelons. Car l’épreuve de la souffrance est toujours traumatisante. Et par essence, elle est de nature à ébranler la foi la plus solide ; car la souffrance n’est jamais « juste » ; elle n’a pas de sens ou d’explication. Nous ne sommes pas non plus égaux devant la souffrance. Elle n’est pas équitablement répartie. Certains semblent pouvoir l’éviter durablement alors que d’autres ont des croix bien lourdes à porter. Difficile ainsi, impossible même de faire rentrer la souffrance dans un système de sens qui nous permettrait de l’apprivoiser, de la contrôler, de la justifier. Chaque histoire de souffrance est différente, chaque histoire est à vivre, à traverser pour elle-même.

Mais ce que nous découvrons à travers l’Evangile, ce n’est donc pas la possibilité d’avoir une réponse ultime au sens de la souffrance, mais nous découvrons au fil des pages la proximité d’un Dieu qui à travers la figure de son Fils se fait proche de ceux et celles qui souffrent. Un Dieu qui partage la souffrance au point d’accepter d’en mourir sur la croix.

Tout au long de son ministère Jésus a été particulièrement attentif aux petits, aux souffrants et encore plus à ceux que la souffrance isole. On le voit très précisément dans ce double récit de guérison.

Pour cette femme à la perte de sang c’est un peu la double peine et même la triple peine ! Non seulement elle souffre dans son corps, mais cette souffrance, la met à ban de la société et lui coupe tout lien social, familial, affectif ; elle ne peut vivre que seule et recluse ; elle ne peut même pas chercher secours ou compassion dans la religion, car son infirmité la rend impure et donc indigne de toute pratique religieuse. Elle n’a donc pas le droit d’être là où elle est et encore moins de se joindre à la foule. S’approcher, comme elle le fait, d’un dignitaire religieux relève du crime, car elle menace de contaminer de son impureté ceux qu’elle pourrait toucher. Mais dans un acte téméraire, elle brise tous les interdits et s’approche de Jésus pour toucher le pan de son vêtement. Et la guérison s’opère instantanément. La guérison n’est pas ici obtenue comme une conséquence de la foi. Dans certains épisodes, Jésus dit « va, ta foi t’a sauvé » et offre la guérison en conséquence. Ici rien de cela. La guérison est comme volée à l’insu même de Jésus. C’est comme si le pouvoir de guérison qui émane de Jésus est tel qu’il rayonne autour de lui. Cette guérison miraculeuse, presque magique, inexplicable interpelle. Comme protestant, nous n’aimons pas ce qui défie la raison ; nous aimons pouvoir comprendre. Rien n’est dit de la foi de cette femme avant sa guérison et sa confession.

Je dois bien avouer que je ne comprends pas comment une telle guérison a pu s’opérer, mais c’est le principe même du miracle, de dépasser le cadre de la raison pour nous interpeller et nous permettre d’approcher d’autres réalités.

Alors que je venais de relire ce récit pour préparer ce message, j’ai entendu l’autre jour un reportage à la radio sur les guérisseurs. Quand on parle de guérisseurs, il y a de tout et surtout des charlatans qui profitent de la misère et de la crédulité des personnes, mais il y a aussi d’autres guérisseurs qui méritent le respect et dont la pratique doit nous poser question. C’est de notoriété publique que les grands hôpitaux universitaires tiennent des listes de guérisseurs et notamment de coupeurs de feu. Ils ne sont pas là pour remplacer l’approche thérapeutique mais pour la compléter. J’ai même appris qu’un de mes anciens catéchumènes en fait partie.

Moi ça ne me plait pas trop. J’aimerais mieux, d’un point de vue purement rationnel, que tous ces guérisseurs soient à classer au rang des charlatans, mais ce n’est visiblement pas si simple. Certains de ces guérisseurs ne veulent pas qu’on sache qui ils sont, ni même recevoir de rémunération. Nous devons donc bien admettre que nous ne comprenons pas tout et qu’il y a des choses qui nous dépassent. Et j’avoue très humblement ma perplexité. Mais pourquoi finalement ne devrais-je croire que ce que je comprends ?

Dans ce récit, les disciples jouent le rôle des sceptiques et des incrédules qui ne comprennent pas ce qui est en train de se jouer. Jésus qui réalise qu’une force s’est comme échappée de lui, comme si elle lui avait été dérobée, s’arrête. Et c’est là que la figure du Christ devient particulièrement signifiante. Il ne veut pas seulement guérir, même à son insu, il veut entrer en relation. Il prend le temps ! C’est alors que cette femme redouble de courage et de foi ; elle aurait pu fuir discrètement comme elle est venue par crainte d’être lapidée pour son acte insensé, tout heureuse d’être ainsi guérie, mais elle se dévoile au vu et au sus de tous et Jésus opère alors comme un deuxième miracle : celui de lui redonner sa place, sa juste place au sein de la société. La voilà non seulement guérie, la voilà relevée, restaurée, ressuscitée.

Ressuscitée comme va l’être la fille de Jairus. Si la femme était étouffée par la foule, on peut imaginer cette jeune fille étouffée par l’amour de son père au moment même où elle devient femme. C’est un peu la même histoire : elle ne peut devenir elle-même. Et la voilà morte, Jésus arrivant trop tard. Ce qui me frappe dans ce récit, c’est le fait que Jésus entre dans le lieu intime de la souffrance. Il ne se contente pas de ressusciter à distance. Il va avec quelques personnes choisies dans le lieu le plus intime de la souffrance : la chambre de l’enfant mort. Je crois qu’il n’y a pas de lieu plus traumatisant que la chambre d’un enfant mort. (J’en ai fait l’expérience dans le ministère). Et c’est comme si Jésus par ce geste manifestait à quel point il est prêt à s’enfoncer loin au cœur de la souffrance, de notre souffrance la plus intime. Et là encore, il relève cette jeune fille, mystérieusement. Il la libère de ses entraves et ne cherche aucunement la publicité pour ce geste miraculeux.

Comme la femme à la perte de sang un fois guérie a dû apprendre à vivre, là encore la guérison est cheminement, car la fille une fois guérie va elle aussi devoir réapprendre à vivre. Elle n’est désormais plus le petit enfant, aimé d’un amour presque étouffant par son père, mais elle est devenue une jeune femme appelée à vivre sa vie. Au lieu de leur donner cet enfant à embrasser, à couvrir de baisers, Jésus – et c’est magnifique ! – dit aux parents : « donnez-lui à manger ! », c’est là votre rôle. Tous les trois, la fille, la mère et père vont devoir réapprendre à vivre une vie nouvelle, différente.

Cet exemple nous montre combien le combat que Jésus mène contre la souffrance, s’il offre la guérison, n’est pas un retour en arrière, un retour à la situation d’avant la maladie, avant que la vie ne s’arrête. La souffrance forcément, mais aussi la lutte contre la maladie et la guérison, changent de fait la vie, laisse des traces !

Le Seigneur lutte avec la dernière énergie contre la souffrance, avec nous, au cœur de notre souffrance, parfois inconnue des autres et de nous-mêmes. Le Seigneur est celui qui, hier comme aujourd’hui, ouvre des brèches, libère la vie lorsqu’elle est enfermée, la remet en mouvement quand elle est arrêtée. Dans ce combat incessant pour la vie contre la mort, acceptons de ne pas tout comprendre, mais ayons la confiance que Jésus est engagé avec nous à chaque instant. Il est disponible pour nous comme il le fut pour la femme à la perte de sang malgré la foule et tout ce qu’il avait d’urgent à faire. Comme Jésus a pénétré jusque dans la chambre de la jeune fille, le lieu de la douleur par excellence, Dieu est prêt à nous rejoindre au cœur de notre vie, au plus profond de nous, même dans ces zones cachées, ces zones qui font peut-être mal, ces parties de notre vie qui ont besoin d’être relevées, d’être renouvelées. Car la mort est maligne ; elle n’attend par notre mort physique pour nous piéger. Elle utilise tous les obstacles de la vie pour retenir dès maintenant notre vie dans le tombeau. Mais le Seigneur est fidèle et nous rejoint toujours pour nous toucher au cœur de notre humanité fragile non pour nous élever, pour nous faire échapper à notre destinée humaine et notre réalité mondaine, mais pour nous relever toujours et encore en nous aidant à transfigurer notre souffrance en chemin de vie.

Mais comprenez-moi bien : il ne s’agit pas là d’une recette toute faite. Non il n’y a pas d’automatisme ; la foi ne sera jamais de l’ordre de la recette ou de l’assurance, mais la foi est et reste toujours de l’ordre de l’espérance. Et c’est bien de cela qu’il s’agit quand on parle de lutter contre la souffrance.

Nous croyons que le Seigneur est engagé à chaque instant à nos côtés, qu’il lutte avec nous et c’est bien lui le seul qui peut nous donner l’espérance, même quand tout espoir semble fini, qu’un chemin est possible à travers la souffrance, un chemin qui peut parfois prendre des détours intrigants.

…. Non il n’y a pas de sens à la souffrance, mais il peut y avoir du sens dans la souffrance, c’est-à-dire qu’un chemin de sens peut s’ouvrir devant nous. Notre prière n’a plus pour but alors de demander la guérison comprise comme un retour en arrière, mais comme une avancée, comme un chemin nouveau qui s’ouvre vers la vie qui est devant nous toujours, aujourd’hui et jusque dans l’éternité.

Amen

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