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10:00| | Prédications | Sandrine Landeau

Le lectionnaire est parfois étonnant. En tout cas j’ai été vraiment étonnée, pour le 26 décembre, alors que nous sommes encore dans la fête de la naissance, de découvrir pour aujourd’hui ce texte qui nous transporte déjà 12 ans plus tard, à l’adolescence de Jésus. C’est d’ailleurs l’unique récit de nos évangiles canoniques qui se situe à cette période. Vous savez que 2 évangiles sur 4 commencent alors que Jésus est déjà adulte, et même 3 évangiles sur 5 si on inclut les lettres de Paul comme étant un cinquième évangile comme on le fait parfois. Matthieu et Luc sont les deux seuls à nous offrir les récits de naissance que nous avons médité hier et avant-hier. Matthieu saute ensuite directement à l’âge adulte, tandis que Luc nous propose ce petit récit étonnant.

La situation est très différente dans les nombreux Evangiles apocryphes dont on a retrouvé tout ou partie : beaucoup détaillent abondamment des épisodes rocambolesques, voire scabreux ou dérangeants de la naissance, de l’enfance et de la jeunesse de Jésus, comme le contrôle de la virginité de Marie après la naissance par une sage-femme, ou la transformation de figurines d’argile en oiseaux de chair et de sang par l’enfant Jésus, ou encore un épisode ou l’enfant tue un autre enfant par inadvertance…

A côté de cela, la sobriété des récits de Matthieu et de Luc est remarquable, tout comme le silence de Marc, de Jean et de Paul. Les évangiles canoniques témoignent d’un choix de mettre l’accent sur l’enseignement de Jésus plus que sur ses miracles (on le voit d’ailleurs souvent demander le silence après une guérison), sur le don de sa vie et sa résurrection, plutôt que sur une puissance miraculeuse.

C’est ainsi que dans cet épisode de la jeunesse de Jésus que nous rapporte l’évangéliste Luc, Jésus apparaît d’abord comme un adolescent tout à fait normal. Un adolescent qui échappe au contrôle de ses parents, qui affirme son indépendance, et qui leur fait même un peu peur. Chacun de nous est passé par l’adolescence, peut-être avez vu eu vous-mêmes des enfants qui ont traversé, ou des petits-enfants qui traversent maintenant cette période de croissance si particulière, cet âge charnière où l’on a besoin de revisiter intégralement tout ce que nous ont proposé comme références, comme valeurs, comme directions de vie nos parents. Revisiter pour s’approprier ou pour rejeter, pour devenir soi. Pour devenir adulte. Pour habiter le monde à sa façon propre.

Quand le jeune Jésus échappe à la surveillance de Marie et de Joseph pour aller son propre chemin, il est donc bien comme tous les adolescents du monde. Il se désolidarise de sa communauté villageoise d’origine pour suivre sa propre route dans la grande ville de Jérusalem, symbole d’ouverture, comme toutes les villes, et d’universalisme – au moins espéré tant les psaumes et les prophètes regorgent de passages qui annoncent le rassemblement eschatologique à Jérusalem de toutes les nations. Il s’en désolidarise sans la rejeter, il va y retourner sans barguigner avec ses parents à la fin de la parenthèse. Simplement il élargit son horizon, il enrichit son expérience du monde.

Là où Jésus est quand même assez spécial, c’est quand il s’installe pour cette échappée belle dans le temple de Jérusalem ! Il n’y a pas beaucoup de nos jeunes qui se réfugient dans la cathédrale St-Pierre pour une fugue !

Et pourtant… que nous dit cet épisode ? Peut-être d’abord justement que le Temple dans lequel s’installe Jésus pour ce temps suspendu est un lieu où tout le monde est bienvenu, quel que soit son âge, quelle que soit sa formation théologique, sa connaissance des codes. Un lieu où l’on peut réfléchir ensemble sur ce qu’est, ou qui est celui que les théologiens appellent Dieu, ou Eternell. Car c’est ce que fait Jésus : il se réfugie au temple non pas – ou pas seulement – pour y trouver un abri, mais aussi pour y discuter avec ceux qui sont là, pour écouter et pour parler, pour recevoir et pour donner. Car oui, même à 12 ans, ou avant, on a une vie spirituelle, on cherche, on s’interroge, et on peut apporter quelque chose à la recherche collective. Moi qui ait la chance de côtoyer dans mon ministère à la fois des enfants et des jeunes du cycle, je peux vous assurer que je reçois quelque chose d’eux à chacune de nos rencontres, tant en termes humains que spirituels et théologiques.

Il est aussi intéressant de voir le jeune Jésus, à l’âge de la recomposition intérieure qui conduit à poser les fondations de son identité propre, va chercher des réponses -ou des questions – du côté de Dieu, et du lieu où l’on discute de qui est Dieu, le temple. Nous sommes invités, comme Jésus, à faire de la recherche de Dieu le socle sur lequel bâtir la maison de notre vie. Sur de telles fondations, le vent pourra souffler sans que tout ne soit démoli… Pour le dire autrement, il y a une demeure à laquelle nous appartenons, quel que soit l’endroit physique où nous vivions, quelle que soit notre situation psychologique ou sociale : c’est en Dieu lui-même.

On ne peut pas manquer non plus de relever que l’épisode dure trois jours, comme à Pâques… comme si cette absence du jeune Jésus venait déjà nous avertir de l’absence d’un autre ordre qui surviendra plus tard… et nous rassurer sur celle-là aussi : Jésus n’est pas absent, il est auprès de Dieu, en route vers Dieu pour mieux revenir parmi les siens autrement, changé, mûri et enrichi de cette traversée, comme le jeune Jésus retourne auprès de ses parents.

Et ses parents justement, qu’en dire ? Ils ont perdu leur fils, imaginez-vous l’angoisse ! Ils se mettent à sa recherche, méthodiquement, patiemment, jusqu’à le retrouver, et ils cherchent à comprendre, ce qui est une démarche louable. Il arrive aussi que nous perdions ce qui fonde nos vies, le lien avec Dieu par Jésus, que nous ne nous sentions plus croyant.es. Et alors nous pouvons faire comme le font Marie et Joseph : chercher, interroger, repasser par les endroits familiers, par là où on est passé auparavant. Et revenir peut-être à un moment à la source, au Temple, et poser des questions, encore, toujours. Etre croyant.e, ce n’est pas avoir des réponses, c’est poser des questions !! Et réfléchir. Car la mention que « Marie gardait toutes ces choses dans son coeur » ne doit pas nous égarer : si dans notre représentation le cœur est le siège des émotions, dans la représentation anthropologique hébraïque, le cœur est le siège de la volonté et de l’intelligence, ce qui nous oriente vers autre chose. Marie ne comprend complètement ce qui vient de se passer, ce que Jésus vient de lui dire. Ça nous arrive aussi quand on lit la Bible, quand on écoute une pasteure ou quelqu’un d’autre la commenter. Et c’est pas grave : on peut, comme Marie, faire l’effort de s’en souvenir pour y repenser plus tard, pour y revenir quand on aura plus d’éléments pour mieux comprendre. On peut prendre le temps d’y réfléchir de nouveau. La foi telle qu’elle nous est montrée dans cet épisode de la jeunesse de Jésus par l’évangéliste Luc, n’est pas un donné une fois pour toute, à comprendre avec le cœur – selon notre compréhension – plus qu’avec la tête. Elle est une démarche qui implique certes les émotions – si Marie et Joseph n’aimaient pas leur fils, ils ne partiraient pas à sa recherche – mais aussi l’intelligence. Elle n’est pas une série de réponses toutes faites et de certitudes, mais d’abord des questions, une recherche et une élaboration progressive de sa démarche, avec d’autres.

Alors qu’en cette période charnière entre deux années civiles, Dieu vous offre une foi faite de cheminement et de questions, et vous garde en marche vers sa demeure !

Amen

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