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10:00| | Prédications | Sandrine Landeau

ne sais pas vous, mais moi j’ai peur, tout le temps ou presque… J’ai peur pour moi : de ne pas être à l’heure, d’oublier mes clés à l’intérieur en claquant la porte, de ne pas être à la hauteur de mes exigences, de me découvrir plus malade que je ne le pense, de mon impuissance face à la souffrance des autres, etc. J’ai peur pour mes proches : de découvrir qu’ils sont malades, d’apprendre un accident, qu’ils et elles souffrent dans leur tête ou dans leur corps, sans trouver de soulagement. J’ai peur de l’avenir qui, à vues humaines, s’annonce plutôt difficile, entre réchauffement climatique et conflits exacerbés… Je ne vais pas vous faire toute la liste, elle est quasiment sans fin et vous avez les vôtres, inutiles de vous encombrer des miennes. De grandes et de petites peurs, parfois des angoisses, qui occupent une grande part de mon dialogue intérieur à coup de « et si ». La peur est une compagne quotidienne, et je ne crois pas être la seule… La peur fait partie de l’expérience humaine, et elle a un rôle positif à jouer : nous avertir d’un danger, et mobiliser nos ressources pour y faire face. Mais parfois le mécanisme se dérègle, la peur s’installe à demeure dans notre vie, se transforme en angoisse et son pouvoir s’étend sur nous, guide nos gestes et nos pensées. Pour l’homme qui a interrogé Jésus comme pour beaucoup de personnes, la peur, sous forme d’angoisse, a pris le pouvoir, et Jésus lutte contre elle.

« Ne crains pas petit troupeau ». Facile à dire ! Surtout que la stratégie pédagogique de Jésus semble curieuse : il termine par une sombre histoire de coups à des serviteurs à vous donner le frisson.

Mais Evangile veut dire « bonne nouvelle », alors cherchons ensemble cette bonne nouvelle qui peut faire reculer l’emprise de nos peurs dans nos vies.

« Ne crains pas petit troupeau ! Il a plu à votre Père de vous donner le Royaume. »

A nos oreilles modernes et individualistes, l’apostrophe « petit troupeau » sonne assez mal, presque insultante… et pourtant, dans la société de l’époque, et dans la culture théologique dont témoigne la Bible, c’est elle qui contient l’antidote à la peur :

- d’abord dans un troupeau on n’est pas seul.e, et prendre conscience qu’on n’est pas seul.e à avoir peur c’est déjà un pas pour ne pas se laisser complètement téléguider par la peur. Si on se croit seul.e, la peur prend des proportions plus importantes… Savoir que d’autres souffrent des mêmes peurs, échanger quelques trucs, permet par la parole de ramener la peur à de justes proportions. Nous ne sommes pas seul, et souvent l’une des phrases les plus libératrices qu’une personne qui a peur puisse entendre est « moi aussi ». A condition que cela ne vienne pas renchérir sur la peur…

- et c’est là qu’intervient l’autre point de réassurance contenu dans ce « petit troupeau » : comme tout troupeau, nous avons un berger, qui prend soin de nous, qui nous aime et dont la tendresse se perçoit dans le « petit troupeau »

Le berger sous-entendu dans l’apostrophe « petit troupeau » est explicité dans la suite du propos de Jésus : il s’agit de Celui qu’il appelle Père. L’image du père apporte une autre dimension que celle du berger : celle de l’amour sans condition, protecteur et pourvoyeur de moyens de croissance.

En quelques mots, Jésus donne déjà de bonnes raisons pour ne pas avoir peur. Il en ajoute encore une : le Père, dans son amour, a déjà offert son Royaume, parce qu’il sait que cela est bon pour vous. Là encore, il y a plusieurs choses à relever :

- le Père recherche le meilleur pour nous, et cela nous est une aide précieuse… ce qui fait mal, ce qui est souffrance, ne vient pas de lui, c’est une certitude. Il est à nos côtés dans nos tunnels de souffrances pour trouver le chemin vers la lumière et la sortie.

- il nous donne pour cela son Royaume. Qu’est-ce que ce Royaume dont Jésus ne cesse de parler dans ses paraboles et ses enseignements ? Un royaume, ce ne sont pas d’abord des frontières, c’est le fait d’être placé sous l’autorité d’un souverain précis, avec ses lois, ses manières d’être. Dieu nous offre son royaume, c’est-à-dire que dès ici et maintenant il nous libère de nos diverses appartenances et allégeances, sans les invalider, mais en les remettant à leur juste place. Cela nous libère de nos peurs, non pas en les faisant complètement disparaître mais en les déplaçant du centre, en les ramenant à des proportions justes, en les empêchant de prendre le pouvoir dans nos vies. Le Père fait de nous les sujets de son royaume, et il fait de tous les sujets de son royaume ses enfants, déplaçant ainsi fondamentalement nos manières de penser les relations entre nous et avec le divin.

- ce don est déjà là, avant que nous ayons demandé ou fait quoi que ce soit. Il n’y a rien à mériter, et c’est extrêmement libérateur. Notre part ne consiste pas à mériter ce cadeau, mais à en vivre. Vivre comme des sujets du royaume de Dieu, donc comme ses enfants, c’est laisser Dieu agir en nous, c’est lui reconnaître la place centrale dans nos vies, et non à quoi ou qui que ce soit d’autre.

Jésus, aussitôt après cet appel à la confiance invite à une mise en pratique radicale : vendez tout ce que vous avez aux pauvres et donnez-le en aumône aux pauvres puis faites-vous un trésor dans le ciel. Comme ailleurs, en radicalisant son propos, Jésus invite très concrètement à se mettre en chemin et tout aussi concrètement à ne pas se mettre la pression ! Et par la contradiction interne que son propos semble porter – si on vend tout ce qu’on a pour donner le produit de la vente aux pauvres, que reste-t-il comme trésor ? – il invite à la réflexion. Le trésor dont il s’agit n’est visiblement pas d’ordre matériel. Non pas que le matériel soit mauvais en soi, au contraire : l’invitation à donner l’argent aux pauvres indique bien qu’il est nécessaire de prendre garde à assurer un minimum de confort matériel. Par contre, s’attacher aux richesses matérielles comme si elles étaient le salut, c’est passer à côté du véritable trésor, celui qui est déjà là, mais caché sous des masses de distractions, d’idoles, de soucis et de fausses assurances. Ce trésor, c’est précisément ce royaume donné sans condition, mais dont nous oublions de vivre…

Une fois ce trésor remis à jour par ce travail de désencombrement, il s’agit d’en vivre et cela se manifeste par deux attitudes : se ceindre les reins et tenir sa lampe allumée. Se ceindre les reins, on le dirait plus couramment aujourd’hui par l’expression « se retrousser les manches ». Le royaume, c’est un endroit, ou plutôt une manière de vivre, où il y a du boulot pour chacune, et pour chacun. Quel boulot ? D’abord, et puisque dans ce royaume, nous sommes des enfants de l’Eternel, grandir ! Pas tellement en taille, mais en humanité, en amour, en bienveillance, en ouverture. Et participer à la croissance des autres. Vivre en famille, c’est une aventure qui exige du travail de chacune et de chacun pour que les choses se fassent de manière harmonieuse. Pas le même travail effectif de tout le monde : je ne demande pas à mon fils de 8 ans la même participation qu’à ma fille de 12 ans, et je ne leur demande pas la même chose aujourd’hui qu’il y a 5 ans. Je ne demande pas non plus la même chose à mon fils parfaitement valide qu’à ma nièce du même âge qui est en fauteuil. Mais chacun peut faire un petit bout, pour que la vie ensemble soit agréable. Et en particulier, si tout le monde ne prend pas la même part aux tâches pratiques, tout le monde peut prendre sa part de l’effort commun de bienveillance, d’humour, de bonne humeur, d’attention à l’autre et à soi dans ses limites et ses fragilités. Cette part du travail, c’est plutôt le fait de tenir sa lampe allumée.

Il y a dans ces quelques premiers versets, un enseignement déjà fourni et très encourageant. Et puis… patatras, voilà que Jésus raconte ces deux petites histoires de serviteurs attendant leur maître. La première, passe encore : les serviteurs attendent leur maître, et il les trouve veillant, et se met du coup à leur service. Mais la seconde, avec ces serviteurs mauvais, cette hiérarchie, et ce maître qui finit par faire battre les serviteurs, donne le frisson… Pour quelqu’un qui vient de dire « n’ayez pas peur », il semble que Jésus retombe bien vite dans la pédagogie de la peur : si vous ne faites pas ce que je vous dis, ça va mal se terminer pour vous…

Plusieurs indices doivent orienter ailleurs notre lecture :

- d’abord justement l’immense bienveillance qui précède, et plus généralement l’attitude de Jésus envers celles et ceux qui n’ont pas réussi, qui n’ont pas veillé, qui se sont endormis, qui se sont égarés : il relève, il réveille, il retrouver, jamais il ne bat ! Même ses adversaires les plus acharnés ne font face qu’à une dénonciation franche de leurs travers et erreurs, jamais à de la violence physique.

- ensuite le fonctionnement habituel des histoires et paraboles comme de beaucoup d’enseignements de Jésus : il s’agit d’histoires qui donnent à réfléchir, pas d’une recette de cuisine à suivre à la lettre ou d’une ordonnance de médecine à suivre au milligramme près. Ici par exemple tant les deux maîtres que les différents serviteurs sont des personnages dont les certains traits renvoient à des traits de Dieu ou tel ou tel groupe d’humain, mais ni Dieu ni les humains ne se réduisent à ces traits, et il ne faut pas forcer l’analogie de l’histoire !

- il y a aussi cette répétition, 3 fois, du « heureux sont-ils » : c’est visiblement la pointe de la parabole, pas la menace ni la peur, mais la remise en marche et la joie qu’il y a à vivre en sujet du royaume, en enfant de Dieu.

Reprenons donc ces deux petites histoires :

- dans la première, les serviteurs illustrent les recommandations précédentes de Jésus : se retrousser les manches et garder l’espérance. Dans le langage de la parabole, ils se ceignent les reins et ils gardent la lampe allumée, en attendant que le maître revienne. Jésus ne dit rien d’un travail plus « concret » : simplement ils sont là, cela suffit. Quand le maître revient, au lieu de se faire servir par ses serviteurs, c’est lui qui se met alors au travail pour les servir. Il les ravitaille, parce que ce travail de veille a usé leurs réserves. Et ces serviteurs servis sont dits heureux – en marche – parce qu’ils ont reçu de quoi se nourrir.

C’est alors que Pierre, ce cher Pierre toujours fonceur et maladroit, demande à Jésus si tout le monde est appelé à la même chose, au même travail, à la même place dans cette maisonnée idyllique ou si certains ont une responsabilité particulière. Est-ce que les disciples, qui ont quand même fait plus de travail que les autres, seront traités mieux ? Si je reprends l’exemple de mes enfants, est-ce que ma fille aura plus à manger que ma nièce parce qu’elle a pu passer l’aspirateur et pas sa cousine ? Dit comme ça on voit tout de suite l’absurdité de la chose ! Pourtant nous avons toujours une réaction de colère quand tout le monde est traité de la même manière, quelle que soit sa part du travail effectué… Pensez à la parabole des ouvriers de la onzième heure : nous réagissons bien sûr comme les ouvriers de la première heure qui s’offusquent que les derniers soient payés comme les premiers ! Nous réagissons comme Pierre !

Vient alors cette fameuse histoire de l’intendant infidèle… Jésus, ne met pas l’accent ici sur le maître ni sur les autres serviteurs, mais sur cet intendant qui se croit au-dessus des autres, comme Pierre se croit au-dessus des autres, comme nous nous croyons quand même un peu meilleurs que les autres, ayant un tout petit peu plus droit à l’amour de Dieu que les autres quand même non ? Nous ne sommes pas de grands criminels, nous sommes la plupart du temps honnêtes et bons camarades les uns envers les autres, et en plus nous sommes là ce matin.

Jésus douche rapidement ce sentiment d’autosatisfaction : en substance sa réponse à Pierre pourrait se dire ainsi « ne vois-tu pas qu’en te plaçant ainsi au-dessus des autres, en dehors du troupeau, ou dans une sorte d’élite du troupeau, tu ne vis déjà plus en sujet du Royaume, en enfant du Père ? Ne vois-tu pas que tu t’égares loin, que tu te places sous l’emprise de la peur de manquer ? » Les serviteurs de la première parabole veillent par amour, dans la confiance que leur maître va rentrer, dans la joie anticipée de son retour. Dans la seconde, où Jésus pousse jusqu’au bout la logique de Pierre, les serviteurs ne travaillent que par peur de la punition et, ce qui est la même chose, par appât du gain. Cette attitude intérieure les place sous l’autorité d’un maître tout autre.

Jésus menace-t-il Pierre ? Non. Il le met en garde en lui montrant où mène sa logique quand on la pousse au bout. Et ailleurs, et à d’autres moments, il enseigne que si Pierre devait, malgré la mise en garde, s’égarer sur ce chemin, il n’y errerait pas sans fin, le berger irait rechercher la brebis perdue, et il se réjouirait de la retrouver !

Alors, le fait d’avoir peur presque tout le temps fait-il de moi une mauvaise chrétienne ? Cela me place-t-il d’emblée hors du Royaume ? La plupart du temps non, car si la peur est bien là, elle ne guide pas mes décisions, mes gestes, mes paroles. Mais à certains moments critiques, elle prend un empire sur moi qui me place hors du Royaume. Non pas que j’en ai été expulsée par le Père, mais parce que je me suis laissée entraîner à l’extérieur.

Et l’enseignement de Jésus, mon expérience antérieure comme celle de bien d’autres, me dit que cette sortie du Royaume non seulement n’est pas le souhait de Dieu, mais qu’elle n’est pas définitive. Peut-être même n’est-elle qu’illusion : je crois avoir été entraînée hors du Royaume, en fait j’y suis toujours, mais je ne le sais plus et je ne vis plus comme telle. Mais le Père m’aidera, autant de fois que nécessaire, à désencombrer ce qui m’empêche de le voir et d’en vivre. Amen !

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