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10:00| | Prédications | Emmanuel Fuchs

Luc 10, 1-11 ; Mt 10.16
; 2 Tim 1, 6-14 ; Ph1, 12-14

Ce qui me frappe toujours à la lecture de l’Evangile, c’est la manière avec laquelle Jésus combine à la fois la fidélité à sa tradition et l’audace pour la faire évoluer.

Jésus est Juif ; pratiquant. Ses parents l’ont éduqué dans le respect de la tradition héritée. Adulte, Jésus continue d’honorer sa tradition et de pratiquer sa religion. On le voit au Temple, à la synagogue, pratiquer le sabbat, fêter Pâques. Jésus n’est pas là pour renier ou rejeter la tradition reçue de ses pères. Mais en même Jésus ne cesse de questionner les pratiques, de mettre en cause les habitudes, de casser le carcan dans lequel s’est enferrée sa tradition religieuse. On le voit dès le début de son ministère que ce soit en guérissant un malade le jour du sabbat ou dans l’Evangile selon Jean en utilisant les jarres destinées aux ablutions rituelles pour prolonger la fête à Cana ; Jésus casse les codes. Non pas pour démolir ou affaiblir sa tradition, non par goût de la provocation, mais pour la faire évoluer avec audace.

Jésus à travers son ministère va apporter un souffle nouveau autant dans la compréhension de la Loi et des pratiques religieuses que dans la relation même avec Dieu. Par fidélité à sa tradition, Jésus ose la remettre en cause pour lui permettre de ne pas étouffer. Jésus reste Juif et ses compagnons d’aventure avec lui ; mais jamais sans cette audace, la Parole de Dieu n’aurait-elle pu être partagée par un si grand nombre et toucher au-delà du petit cercle des Juifs pratiquants. Les disciples eux-mêmes ont été quelque peu dépassés par cette ouverture soudaine ; on le voit dans le livre des Actes avec la discussion entre Pierre et Paul pour savoir ce que l’on est prêt à lâcher pour permettre une plus grande ouverture.

C’est je crois ce même mouvement qui a été à l’origine de la Réforme il y a cinq cents ans. Les Réformateurs n’ont jamais eu comme intention la provocation ou la volonté de rompre avec la tradition. Au contraire, les Réformateurs ont toujours essayé de revenir au message originel du Christ, de retrouver la source de l’Evangile, source qui avait été passablement obstruée au fil des siècles par une tradition et des pratiques qui avaient enfermé le souffle de l’Esprit dans un carcan d’ignorance, de corruption, de lutte de pouvoir.

Paul déjà encourage Timothée à garder « le bon dépôt » par l’Esprit Saint. Garder le bon dépôt, voilà bien l’intention des Réformateurs en dépouillant la Parole de Dieu et la pratique religieuse de tout ce qui les avaient avilis et alourdis au fil des siècles.

Les Réformateurs, à l’image du Christ, ont fait preuve tout à la fois d’une grande fidélité à la Parole (on le voit à leur volonté de constamment retourner au texte) en même temps que d’une audace fantastique. Ils ont osé prendre des risques, casser des codes, changer de langage, traduire, comprendre le monde dans lequel ils évoluaient pour apporter un souffle nouveau.

C’est précisément en étant audacieux, courageux qu’ils ont pu honorer avec fidélité leur tradition et rester les gardiens du « bon dépôt » reçu de leurs pères. L’audace n’est jamais contraire à la fidélité !

Aujourd’hui, cinq cents ans plus tard, nous sommes un peu confrontés à la même situation et peut-être nous plus que d’autres qui avons le privilège de pouvoir célébrer le Seigneur dans ce haut lieu de la Réforme ; dans cette Cathédrale qui a joué un tel rôle dans l’histoire de l’Europe. Qu’on le veuille ou non, cela impressionne de savoir qu’ici même l’Histoire avec un grand « H » a été écrite. Nous pouvons à juste être titre être fiers de cette histoire et de cette tradition réformée. C’est notre devoir que d’honorer et de garder cet héritage. Et c’est vrai que lorsque dans quelques semaines je serai avec mes catéchumènes en train de chanter des vieux psaumes au bord de la margelle de la Tour de Constance à Aigues-Mortes, cela nous marque et nous rappelle d’où nous venons et ce que nous devons à nos courageux ancêtres. Mais cette tradition, elle doit nous porter ; elle doit être le socle, le terreau sur lequel nous construisons ; elle ne doit jamais devenir carcan ou une simple répétition d’habitudes héritées.

C’est en ce sens que je crois que notre Eglise est aujourd’hui à un tournant. Je l’ai souvent dit : notre église doit éviter le double écueil de la citadelle et du musée. Celui qui nous ferait nous replier, nous enfermer sur nous-mêmes et celui qui voudrait nous inscrire dans la seule mémoire ou conservation d’un illustre passé.

Être fidèle à l’intuition géniale des Réformateurs, dans leur propre fidélité aux origines de l’Evangile, ce n’est pas garder l’Eglise, la manière de faire, la tradition comme nous les avons reçues ; c’est les faire évoluer dans notre temps. L’Eglise, telle que nous la vivons, dont nous avons hérité au siècle dernier, n’est déjà plus celle de Calvin. Il n’y avait pas cette chaire, pas de portique, ni de flèche à l’époque de Calvin. Le monde n’est plus le même, les défis ne sont plus pareils. Nous sommes loin de l’Eglise de Calvin et heureusement et pourtant certains continuent de penser que nous devrions comme arrêter le sablier du temps et que notre devoir serait de transmettre aux générations l’Eglise comme nous en avons hérité. Mais être fidèles aux Réformateurs, ce n’est pas garder le « bon dépôt » tel que nous l’avons reçu, comme un trésor que l’on peut enfermer dans un coffre scellé, c’est le faire évoluer ; c’est parler le langage de notre temps, c’est écouter les questions et les aspirations du monde d’aujourd’hui, c’est être attentifs aux codes et aux manières de faire de nos contemporains.

Dans ce défi qui est le nôtre je crois que cette Cathédrale pourrait jouer un rôle majeur. Nous avons en effet ce privilège d’avoir hérité de ce lieu si symbolique et si chargé d’histoire. C’est une responsabilité, mais c’est aussi une chance unique. Certains alors considèrent leur mission comme étant celle des gardiens du temple, c’est-à-dire de devoir protéger cette illustre bâtisse de tout attaque de la modernité. Mais cette Cathédrale n’est déjà plus celle de Calvin ; elle a, heureusement, continuer à évoluer au cours des siècles ; elle est aujourd’hui le témoin de l’Eglise du 20ème siècle. Mais nous ne vivons plus au 20ème siècle et il y a certainement autant de différence entre la vie de cette Cathédrale à l’époque de Calvin et 1930 qu’entre 1930 et aujourd’hui ! Le monde a radicalement changé et les jeunes générations ont une relation à l’Eglise, à la pratique religieuse totalement différente de celle que nous avons pu connaître. Cela ne veut pas dire qu’ils ne sont pas religieux, pas sensibles à la Parole de Dieu, pas mus par une aspiration spirituelle. Je fais plutôt l’expérience inverse lorsque j’anime des groupes de jeunes et de jeunes adultes. Mais leur pratique religieuse a changé. Et c’est précisément dans ce contexte de déchristianisation, d’absence de repères, de perte de codes et de signes religieux que cette Cathédrale, ce bâtiment peut et doit jouer un rôle particulier.

Aujourd’hui le texte de Luc 10 résonne d’une manière toute particulière à nos oreilles. Je l’ai du reste travaillé cet été lors d’une retraite avec un groupe de jeunes adultes. Oui la moisson est abondante et le nombre d’ouvriers limité. La tâche est donc immense, mais nous voulons croire à la fidélité du Seigneur dans cette tâche qu’il nous confie. Nous avons été frappés par le verset 4 « n’échangez de salutations avec personne en chemin ». Cela peut paraître étrange comme exhortation, mais nous l’avons comprise comme une injonction à ne pas nous laisser divertir de notre objectif : nous concentrer sur notre mission (or trop souvent en Eglise, nous nous laissons divertir par d’autres préoccupations organisationnelles, financières, de gestion…) Ne jamais oublier leur cœur de notre mission et la vivre, on le voit au verset 7 (quand il est demandé aux disciples de demeurer dans cette maison) ; c’est à-à-dire de faire preuve de persévérance et de sincérité.

Cette mission elle s’exprime d’abord par le souci d’aller à la rencontre de l’autre, de pas rester figé dans l’entre soi. Et elle ne se décline pas par la volonté de convaincre l’autre. « Dans quelque maison que vous entriez, dites d’abord -paix à cette maison-».

La mission première est d’être porteur de paix. Intéressant de noter qu’il est dit que sommes envoyés comme des brebis parmi les loups. Ce n’est pas un statut très enviable, je vous le concède. Mais l’on peut regarder cela aussi autrement. La brebis pour le loup, c’est quoi ? C’est sa nourriture ! Et bien nous sommes appelés à devenir nous aussi comme une nourriture spirituelle pour nos contemporains, au milieu de la foule et non pas en restant dans l’entre soi. Non pas convaincre l’autre d’une vérité dont nous serions porteurs, mais devenir témoins d’une paix, d’une grâce qui nous nourrit et nous fait vivre. Et pour entretenir cette grâce, nous devons comme Paul encourage Timothée, prendre pour norme les « saintes paroles » dans la foi et l’amour du Christ.

Garder ce bon dépôt, en être témoin, voilà bien notre mission, mais nous devons le faire non pas comme des gardiens de musée, mais comme Paul nous y encourage en « redoublant d’audace ».

C’est le grand défi de notre génération de croyants et tout particulièrement, comme je le disais dans ce lieu si chargé d’histoire, de trouver le juste équilibre entre honorer notre tradition et témoigner avec audace.  Cette Cathédrale est à la fois le lieu où les protestants « convaincus » aiment à se retrouver. Et c’est bien ainsi. Mais cette Cathédrale doit et devrait encore davantage participer à la mission d’évangélisation de notre Eglise. En effet, c’est ici que viennent le plus souvent les personnes distantes mais curieuses. La Cathédrale devient alors un outil extraordinaire pour la mission, pour faire connaître l’Evangile. Mais je ne suis pas sûr que nous soyons toujours assez attentifs à ces personnes curieuses et les aidons suffisamment à trouver les « portes d’entrée » vers un cheminement de foi. Un peu par paresse spirituelle, nous nous contentons de ce que nous avons toujours fait. Et je crains que cela ne suffise plus. Pour nous équiper pour cette mission, le Seigneur nous donne encore une recommandation : « voici je vous envoie comme des brebis au milieu des loups ; soyez donc rusés comme les serpents et candides comme colombes ». Candide comme une colombe, qui se laisse porter par le vent, par le souffle de l’Esprit ; mais aussi avisé, rusé comme un serpent. Cela pourrait surprendre comme recommandation, tant le serpent a mauvaise presse, mais le terme grec utilisé ici est intéressant « froninos » ; il ne veut pas dire tricheur, rusé dans le but de tromper l’autre ou pire de profiter de ses faiblesses. Ce terme a une connotation positive. Rusé, ou plutôt avisé, malin dans le sens où il s’agit de trouver toujours le bon moyen – qui ne sera pas toujours le même - pour aller au but, pour apporter cette paix, pour être témoin de cette grâce.

Le monde dans lequel nous évoluons est un monde difficile et la situation de nos Eglises et du Christianisme en Occident est précaire ; nous ne pouvons pas par fidélité mal comprise à la tradition nous accrocher seulement aux pratiques, aux coutumes et aux manières de faire héritées. Si nous ne voulons pas être réduits dans un avenir proche au rang de gardiens de musée, nous allons devoir par fidélité même à la Parole, pour garder le bon dépôt, pour apporter la paix et offrir une nourriture spirituelle à nos contemporains, oui nous allons devoir redoubler d’audace en devenant toujours plus avisés comme des serpents et en nous laissant, telle la colombe, porter par le vent de l’Esprit.

Amen

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