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10:00| | Prédications | Emmanuel Rolland

Les ouvriers de la dernière
heure

Les ouvriers de la dernière heure ou

« Ton regard est-il mauvais parce que moi je suis bon ? »

Psaume 145 / Philippiens 1 / Mt 20, 1-16

 La grâce et la paix nous sont données de la part de Dieu notre Père et de la part de Jésus-Christ son fils, notre Sauveur.

 Soyez les bienvenus au culte de ce dimanche, qui sera suivi cette année par l’Assemblée Générale de notre paroisse où un nouveau Conseil sera élu pour une législature de 4 ans. C’est l’occasion de placer ce culte sous le signe de la gratitude : gratitude pour le travail accompli par le Conseil sortant l’investissement de chacune et de chacun, exceptionnel de sérieux et de générosité sous la présidence de Daniel Pilly. Gratitude pour le travail de la commission électorale emmenée par MLG qui a appelé et convaincu 7 nouvelles personnes de rejoindre l’équipage pour les 4 prochaines années ; gratitude enfin pour ces 15 personnes qui se présententent aujourd’hui à vos suffrages. C’est un bon signe, un signe de vitalité pour notre paroisse et pour la vie de toute notre Eglise, ici à Genève.

 Gratitude enfin pour vous, qui venez au culte avec une fidélité remarquable et qui nourrissez par votre présence, par votre curiosité et votre intérêt, par votre exigence aussi, vos questions et vos interpellations, la vie spirituelle et communautaire de toute notre paroisse. Gratitude enfin pour nos musiciens, Vincent Thévenaz, fidèle aux grands orgues de Saint-Pierre et Serge Ilg, présent ce matin et qui s’est donc proposé pour soutenir notre chant.

 Ce matin, en l’absence excusée d’Emmanuel Fuchs, qui préside son premier culte au temple de Champel, nous conduirons ce culte à deux, Sandrine Landeau, pasteure dans notre Région et à Saint-Pierre depuis le 1er septembre 2020 et moi-même, qui m’approche lentement mais surement de la date de péremption. Nous ouvrons ce culte maintenant sur une prière de Saint Augustin que nous aimons redire tant elle sonne juste :

« Seigneur mon Dieu, autant que j’ai pu, autant que tu m’en as donné le pouvoir, je t’ai cherché, j’ai désiré voir ce que j’ai cru. Permets Seigneur que je ne me lasse jamais dans ma recherche, mais fais que je cherche toujours ardemment ta face. Donne-moi la force de te chercher, toi qui m’as fait déjà te trouver, toi qui m’as donné de plus en plus l’espoir de te trouver davantage. Seigneur mon dieu, accorde-moi de me souvenir toujours de toi, de te comprendre et de t’aimer ». 15 , str.1.2.3 A toi mon Dieu mon cœur monte… 

Prière d’illumination

« Si nous rendons à Dieu un culte, Dieu aussi nous cultive. Nous ne le cultivons pas pour le rendre meilleur, puisque notre culte consiste dans l’adoration et non dans le labour. Mais lui nous cultive comme fait un laboureur de son champ ; aussi cette culture nous améliore comme celle du laboureur rend son champ plus fertile (…) Il nous cultive en ne cessant d’arracher pas sa parole, de nos cœurs les germes funestes, de nous ouvrir l’âme avec le soc de ses instructions, et d’y répandre la semence de ses préceptes pour en attendre des fruits de piété. Quand en effet, nous laissons ce laboureur céleste travailler nos cœurs et que nous lui rendons le culte qui lui est dû, nous ne nous montrons pas ingrats envers lui et nous lui présentons des fruits qui sont sa joie ; ces fruits ne le rendent pas plus riche, mais ils accroissent notre bonheur »

Saint Augustin, Sermons sur l’Ecriture, p.765

Au moment d’ouvrir les Écritures, ce sont nos cœurs, nos esprits, nos intelligences que nous demandons à ton Saint Esprit d’ouvrir et d’aérer. Ce n’est pas seulement en ta Parole que nous nous confions, cette parole qui nous cultive et nous laboure, comme le dit si joliment Saint Augustin, c’est aussi dans le laboureur que nous plaçons notre confiance, en sa main ferme et sûre. Ta parole Seigneur est la vérité, sanctifie-nous pas ta vérité. Amen »

 Interlude orgue

 Marie-Laure, je ne sais pas comment tu as réussi à convaincre nos 7 amis de rejoindre le Conseil de paroisse, qui à défaut d’être le Royaume de Dieu sur la terre, se voudrait un peu comparable à la vigne du Seigneur, un lieu où l’on travaille pour lui en tout cas. Du moins où on essaie.

 Leur as-tu lu cette lettre où Paul, pour toute récompense de son travail, se retrouve jeté en prison, en raison du fait qu’il a contribué à la propagation de l’Evangile ? Quel salaire ! Pour le plus zélé d’entre tous ! Et remarquez qu’il ne se plaint de rien, lui, parce qu’il fait l’expérience que le martyr est médiatique et sert mieux encore que ses discours, la cause qu’il défend.

Leur as-tu lu ensuite la parabole des ouvriers de la 11ème heure où finalement, ceux qui ont trimé tout le jour sous un soleil de plomb se voient payés au même tarif que ceux qui ont travaillé 10 fois moins qu’eux à la fraicheur du soir ? Je suis sûr qu’intelligente et rusée comme tu es, tu as fermé ta Bible et tu ne leur as rien lu du tout, mais comme le maître de maison, tu es sortie chercher des ouvrières et des ouvriers, en restant assez flou sur le salaire journalier et tu leur as dit : « venez, on a besoin de vous ! » Et ils t’ont suivi ces naïfs ! Sans savoir exactement où ils mettaient les pieds.

 Ils mettent les pieds dans un drôle de pays en tout cas, où le travail certes ne manque pas mais où le salaire est discutable. Qu’est-ce qu’on gagne ? Qu’est-ce qu’on y gagne ? Parfois des coups à prendre - on en a bien échangé quelques-uns, nous durant la législature qui s’achève - parfois des coups à boire. Et à Saint-Pierre, il y a plus de coups à prendre que de coups à boire.

 Un pays réputé pour avoir une drôle d’économie où quand tu donnes le petit doigt, on te prend le bras. Pour accepter d’en être, il faut être soit complètement fou, soit très généreux, les deux d’ailleurs ne s’excluant pas. Alors les 7 qui ont accepté d’y entrer ont une excuse : ils ne savent pas ce qu’ils font. Mais à leur côté, il y en a 8 qui continuent !!! Des cas, ceux-ci. Des très très fous ou des très très généreux. Et puis, il y en a 7 autres qui arrêtent et qui vont recevoir en guise de salaire pour toutes ces années où vraiment chacun, chacune a tant donné de lui-même, d’elle-même, de quoi s’acheter un livre, peut-être deux, en poche, à la librairie du Boulevard…

Quel pays !!! Le pays de Jésus-Christ n’est décidément pas le pays de Candie. Mais on vous dit bienvenue, bienvenue et surtout bonne chance !

 Pardonnez-moi cet exorde, qui je l’espère, n’aura vexé personne. C’est qu’il nous arrive de rire, à nous aussi, de rire de nous, de nos travers et il se trouve que les deux pages qui sont proposées aujourd’hui ne sont pas dépourvues d’un humour plus délicat que le mien, quand Paul constate par exemple, que le passage par la case prison, ce n’est pas un mauvais plan de carrière, pour peu, bien sûr, qu’on soit mis en prison pour ses idées, ou quand Jésus-Christ raconte cette drôle d’histoire sur les ouvriers qui gagnent en une heure le salaire d’une journée, ce qui ne fait pas rire du tout ceux qui travaillent depuis 6h du matin, mais qui, on peut l’imaginer, doit bien faire rire sous cape, les derniers traités pour une fois dans leur vie comme des premiers.

 Je ne sais pas comment vous avez réagi en entendant pour la première fois ou pour la centième fois cette parabole, si vous êtes de celles et de ceux qu’elle a fait rire ou si vous êtes de celles et de ceux qu’elle n’a pas fait rire du tout.

Si vous êtes de celles et de ceux qu’elle n’a pas fait rire, j’aurais envie de dire que c’est plutôt une bonne nouvelle pour vous. Ça veut dire que vous faites partie des premiers. Vous faites partie de ceux qui avez un travail et qui y passez vos jours et pour certains d’entre vous, une bonne partie de vos nuits aussi. Vous faites partie de ceux ne chôment pas et qui peuvent se dire que la subsistance des vôtres est assurée, même leurs loisirs et les vacances. Parce que, le soir venu, c’est à dire au bout du mois, votre salaire va vous être versé. Vous l’aurez gagné, à la sueur de votre front, mais c’est plutôt une bonne nouvelle, parce que vous savez que vous n’aurez pas à aller à l’Hospice Général ; vous n’aurez pas à remplir de formulaires accompagnés de toutes une série de pièces annexes que vous aurez beau avoir trié, classé, rangé, il en manquera toujours une pour justifier d’un subside, d’une allocation sans laquelle vous pourrez non pas devenir riche, mais assurer ric-rac la subsistance des vôtres. Donc, si vous trouvez que cette parabole n’est décidément pas drôle, réjouissez-vous, c’est plutôt bon signe. Vous avez un travail et quoi qu’il vous en coûte, un salaire aussi, qui tombe à la fin du mois. Quelle chance ! Quelle joie de ne pas avoir ce souci-là, en plus de tous les autres qu’occasionnent la vie.

 Si vous êtes de celles et ceux que cette parabole fait rire sous cape, c’est triste à dire, mais c’est plutôt une mauvaise nouvelle, pour vous, et on vous plaint. Ça veut dire que vous appartenez à ces derniers, aux derniers des derniers, à cette catégorie de gens dont personne n’a voulu et qui par conséquent ne sont plus bons qu’à faire… la queue toute la sainte journée tandis que d’autres sont au boulot. Ceux qui attendent, mais qui ne font pas rien qu’attendre, non, qui passent leur vie à chercher et donc, à remplir des formulaires.

Pour demander un emploi, et comme on vous répond que votre CV a retenu toute l’attention de votre correspondant mais rien que son attention – ce qui n’est pas suffisant pour acheter votre pain quotidien - eh bien vous remplissez d’autres formulaires pour une allocation par-ci, un subside par là ; vous allez dans les paroisses qui vous envoient au CSP ou à Caritas, et puis de temps en temps, coup de bol, vous tombez sur un Joël Rochat, un Pascal Mundler, un Jean-Baptiste Delaugère, une Madeleine Turrettini et ouf, vous aurez pour ce soir, oh pas de quoi allez dîner chez Lipp, mais au moins de quoi remplir votre caddie à la Migros. Pure grâce et merci au fonds diaconie de notre paroisse, à celles et ceux qui l’alimentent et à celles et ceux qui l’administrent de le faire dans un pur esprit de service, dans un pur esprit évangélique, c’est à dire dans la conscience que si tous n’ont pas de travail, il faut quand même que tous puissent vivre.

Jésus, lui, en racontant cette parabole qui fait rire les uns et pas rire les autres, fait preuve ici de beaucoup de malice et d’humour ou disons qu’il pousse la provocation assez loin. En fait, soyons clair, il donne une bonne leçon aux ouvriers de la première heure en leur racontant cette drôle de parabole que nous nous obstinons à appeler la parabole des ouvriers de la 11ème heure alors qu’elle ne parle pas du tout des ouvriers de la 11ème heure mais des ouvriers de la 1ère heure et qui ne s’adresse même qu’à eux.

C’est avec eux, en effet, les ouvriers de la première heure, que le contrat est passé, le salaire fixé, et la malice n’est pas du tout de payer les derniers arrivés comme les premiers, mais de payer les derniers avant les premiers, de manière à ce que les premiers, voyant que ceux qui ont travaillé à 10% du temps reçoivent un salaire à plein temps, s’attendent à recevoir 10 fois plus que le salaire convenu, selon leur sens de la justice économique. Les premiers ne récriminent pas du tout parce que les derniers reçoivent un salaire, même mirobolant compte tenu de leur temps de travail, mais parce que le leur n’a pas été multiplié par 10. Car la justice eût été de proportionner le salaire au temps de travail accompli et alors tout le monde serait reparti heureux, louant la bonté de ce maître prodigue et généreux qui donne aux uns de quoi aller à la Migros et aux autres de quoi aller dîner chez Lipp – voire à l’hôtel des Bergues - avec toute la famille. Pourquoi ne le fait-il pas ? Pourquoi ne donne-t-il pas plus à ceux qui ont travaillé plus ? Pourquoi c’est le droit et la loi pour celles et ceux qui ont travaillé tout le jour et la grâce pour tous les autres ? Veut-il dire par là aux ouvriers de la première heure que travailler tout le jour est une très grande bénédiction, une grâce et une faveur qui a sa récompense en elle-même et qu’en conséquence, ils devraient « s’estimer heureux » de ne pas faire partie des gens qui ont fait la queue toute la journée dans l’attente d’un emploi et d’un salaire qui ne vient pas ?

Veut-il dire que notre sens de la justice est trop étroit, trop centré sur nous-mêmes et les efforts que nous faisons, et pas assez sur besoins, les souffrances de celles et ceux qui n’ont pas accès aux mêmes sécurités que nous ? C’est possible, on ne sait pas, lui en tout cas ne juge pas ; il ne se pose pas non plus de questions. Des questions, c’est à nous qu’il en pose : « Est-ce que je t’ai lésé ? » « Est-ce que je t’ai menti ? » « Est-ce que j’ai trahi mon contrat » « Est-ce que je t’ai fait du tort ? » Ou alors, « ton regard serait-il mauvais parce que je suis bon ? » Remarquez bien qu’il se garde bien de répondre, de nous asséner sa petite morale. Il nous laisse face à notre conscience, il nous l’ouvre même comme l’ostréiculteur son huitre. Il n’y est pas allé avec le dos de la cuillère mais au couteau. Et on reste là un peu bouche bée tandis qu’il nous règle notre compte en nous disant que quelle que soit la manière dont ça se passe chez nous, chez lui, si les premiers ne sont jamais traités comme des derniers, les derniers, eux, sont traités comme les premiers.

 

Concluons rapidement :

Cette parabole est adressée aux disciples, les ouvriers de la 1ère heure. Ce qui la motive, c’est la question de Pierre à Jésus  qui la précède : « Voici que nous avons tout quitté pour te suivre : qu’est-ce que nous recevrons en retour / quel salaire ? » Juste après, la brave maman des fils de Zébédée en rajoutera une couche en demandant à Jésus que ses deux garçons soient installés l’un à sa droite et l’autre à sa gauche dans le Royaume des cieux. Il est donc bien question de la rétribution des ouvriers de la 1ère heure. Non seulement est-ce qu’on sera payé mais qui sera le mieux payé d’entre nous ?

 C’est parce qu’il prend la question au sérieux que Jésus leur raconte cette drôle de parabole que l’on ne trouve que dans l’Évangile de Matthieu. Or dans l’Évangile de Matthieu, je le dis sous la veille attentive et amicale d’Andreas Dettwiller, on ne rigole pas avec la loi. Mais on ne plaisante pas non plus avec la grâce. La parabole des ouvriers de la 11ème heure, c’est la parabole de la grâce dans l’Évangile de la loi, et c’est vrai que ça ne rigole pas. Pour les disciples, la leçon est sévère, je dirais même cinglante, mais celle-ci, ils ne l’ont pas volée.

 Alors aujourd’hui où nous avons la grâce de recevoir et d’accueillir parmi nous les ouvriers de la dernière heure qui seront traités, vous pouvez en être certains, avec tous les égards dus aux premiers, nous pouvons en déduire que pour tous, le salaire sera le même, modeste mais suffisant et que le travail, ce travail qui ne connaît aucun chômage, ce travail pour lequel le maître de la vigne ne cessera de nous ouvrir la porte si nous avons envie de la franchir, il est très simple, passionnant et infini, toujours à recommencer, c’est de se tenir dans un monde où la loi est d’airain, où on regarde à droite et à gauche si l’autre n’est pas mieux traité que moi ; on se fout de ceux qui sont moins bien traités, on les regarde la plupart du temps à peine, on regarde toujours ceux qui nous semblent mieux traités que nous, bref, je répète dans ce monde d’airain, être les ouvriers de la grâce, être les intendants, les administrateurs de la grâce. C’est une belle et noble cause et là vraiment, il y a du boulot pour tout le monde.

 

Intercession

Seigneur notre Dieu et notre Père, il ne faudrait pas que notre prière d’intercession soit une manière de rester en retrait, en te laissant le soin de faire tout le travail. Aussi :

Donne-nous le courage, là où nous vivons chaque jour, de prendre position au nom de notre foi pour vivre de ta grâce et l’annoncer, même si cela doit nous amener à subir l’ironie, voire le rejet ou comme l’apôtre Paul, la prison.

Donne-nous le coiurage de ne pas fermer les yeux sur les injustices, de ne pas nous y habituer, de ne pas penser que c’est normal et que le monde tournera toujours comme ça, sans justice et sans grâce. Donne-nous de résoudre, chaque fois que nous le pouvons, avec les maigres pouvoirs qui sont les nôtres, les situations compliquées, même si nous sacrifions ainsi notre temps et notre tranquillité.

Donne-nous le courage de participer activement à notre communauté paroissiale, afin qu’elle devienne le lieu où notre vie, avec ses conflits et ses recherches, se trouve éclairée par notre foi.

Ne nous laisse pas en repos, Seigneur, tant que notre foi n’imprime pas son exigence sur l’éventail de toute notre vie. Aide-nous à être des chrétiens dans la partique de chaque jour.

 De nos pensées et de nos mots, de nos gestes et de nos silences montent le cri des femmes et des hommes de notre temps sur les lieux de souffrance et de guerre, de solitude et de désespoir, de désoeuvrement et de chômage.

Nous remettons entre tes mains de Père nos nos drames intimes et les tourments de nos cœurs.

 Elargis l’espace de nos vies pour être tes témoins et d’une même voix, que nous joignons à celles et ceux qui à travers les espaces et les temps montent vers toi, nous te disons la prière éternelle….

 

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