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10:00| | Prédications | Antoine Nouis

Le sens du culte réformé

Le sens du culte réformé

Ps 40.1-10

Col 1.12-22

Mc 11.15-19

 

Dans un livre déroutant, la théologienne épiscopalienne Phyllis Tickle relève que dans les trois millénaires qui viennent de s’écouler, une césure importante est apparue tous les cinq cents ans[1].  

·      Autour de mille cinq cents avant notre ère, Abraham et l’apparition du monothéisme.

·      En mille avant notre ère, l’instauration de la royauté, la tentative d’unification des tribus en un peuple, la construction du temple.

·      Au VIe  siècle, la destruction du temple et l’exil qui a été un temps de reconfiguration religieuse en dehors de la terre mère.

·      L’événement Jésus-Christ comme aboutissement d’un processus d’incarnation. Le divin se fait humain. Dieu meurt sur une croix.

·      Ve siècle, chute de l’Empire romain d’occident, concile de Chalcédoine qui pérennise une certaine christologie.

·      XIe siècle, grand schisme qui a installé définitivement la papauté en Occident et qui a été à l’origine des croisades.

·      XVIe siècle, la réforme qui est la traduction dans le champ religieux des changements portés par la Renaissance.

·      Et le XXIe ? Nous sentons bien que nous vivons un bouleversement majeur. Comme nous sommes au cœur d’un changement d’époque, nous n’avons pas tous les outils pour l’analyser, mais nous voyons bien que nous changeons de monde. Ce qu’on appelle l’hypermodernité est marquée par :

ü La mondialisation qui suscite par effet retour les crispations identitaires. Régis Debray a une jolie formule pour évoquer cela, il dit que le Coca-cola crée les ayatollahs.

ü L’individualisme qui fait que le sujet ne se définit plus par sa famille ou ses origines, par un choix individuel en toutes choses.

ü Le changement des registres de communication à travers le monde numérique.

Cette analyse mériterait d’être affinée, mais la notion de cycle est troublante. Est-ce un hasard, une pensée magique, une main invisible ou une évolution sociologique qui veut qu’une période de cinq cents ans corresponde à la vie d’une nouvelle organisation ?

Dans cette période de changement, nous avons besoin de retrouver nos fondements, non pour nous crisper sur un passé révolu, mais pour nous aider à analyser les défis posés à notre époque et distinguer l’essentiel de l’accessoire.

Le thème de ce culte est « le sens du culte réformé ». Je me propose de pointer les fondements de la Réforme et de voir comment ils nous aident à comprendre le sens du culte.

Le protestantisme peut se définir à partir de trois principes.

1 - Principe théologique : la grâce (Col 1.22)

Au début du XVIe siècle, Luther est devenu moine suite à un vœu. Alors qu’il était terrorisé par un orage terrifiant en forêt, il a pris l’engagement d’entrer au couvent s’il s’en sortait. La compréhension de Dieu qui se trouve derrière cet épisode et celle d’une force supérieure à laquelle nous devons nous soumettre.

Le problème d’une telle compréhension est qu’on n’en fait jamais assez. Pris dans cet engrenage, Luther multipliait les exercices spirituels, les prières, les veilles et les jeûnes, mais il avait le sentiment qu’il fallait toujours en faire plus.

Il a été libéré de cette spirale mortifère par l’étude des Écritures qui l’a conduit à changer sa compréhension de la justice de Dieu. Il a entendu que ce n’était pas par ses actes de justice qu’il devenait juste, mais qu’il était déclaré juste en Jésus-Christ, et qu’alors il pouvait poser des actes de justice.

Ce renversement du salut par la grâce se trouve dans l’épître aux Colossiens dans le verset qui dit : « Le Christ vous a maintenant réconciliés, par la mort, dans son corps de chair, pour vous faire paraître devant lui saints, sans défaut et sans reproche[2]. » Devant Dieu, par Jésus-Christ, je suis saint, sans défaut et sans reproche. Je suis suffisamment lucide pour connaître mon manque de sainteté, mes défauts et les reproches qu’on peut me faire, mais c’est ainsi que je suis devant Dieu, car entre lui et moi, se trouve le Christ. Une fois cette affirmation posée, il ne me reste plus qu’à devenir ce que je suis, et pour cela il n’y a pas trop de toute une vie de foi.

Cette compréhension de la justice de Dieu est le fondement du protestantisme. Luther a dit que lorsqu’elle était proclamée, nous étions dans l’Évangile ; et lorsqu’elle était absente, on était dans une autre économie religieuse. C’est à partir de cette pierre angulaire qu’il a reconstruit toute la théologie.

Cette lecture de la justice est à l’opposée de notre monde qui dit que la valeur d’un humain dépend de son compte en banque, de la valorisation de son métier, de sa culture, des dimensions de son carnet d’adresses et de  l’exotisme de ses vacances… et tant pis pour les pauvres, les pas beaux, les timides et les perdants.   

Dans un commentaire rabbinique, lorsqu’un mendiant avance dans la rue, un ange le précède et sonne de la trompette en criant : « Attention, voilà une image de Dieu qui arrive ! » Alors que lorsque je croise un mendiant, j’ai tendance à détourner la tête pour regarder ailleurs.

Les valeurs de notre monde sont comme un gaz incolore, inodore et sans saveur qu’on inhale sans s’en rendre compte. Contre ce gaz, le culte est un antidote qui nous aide à nous inscrire dans la logique de la grâce contre les valeurs de notre monde.

2 - Principe anthropologique : la liberté de dire non (Mc 11.15-19)

Face aux marchands du temple, Jésus a dit non, non a un système religieux qui confisquait une spiritualité. Parce qu’il a contesté un système qui profitait à une caste, les derniers versets du passage que nous avons lu disent que les religieux se sont réunis pour le mettre à mort.

Dans l’histoire, un homme a renouvelé le geste de Jésus, c’est Luther à la diète de Worms.

L’histoire est la suivante : après l’affichage des 95 thèses, la relation entre Luther et le pape s’est tendue jusqu’à aboutir à l’excommunication du réformateur. C’est alors qu’un nouvel empereur, Charles Quint, est nommé à la tête du saint-Empire. Trouvant dans ses dossiers la dissidence du moine de Wittenberg, il décide de le traiter et convoque Luther à une diète, qui est une assemblée qui réunit les principaux responsables politiques et religieux.

Luther se rend à Worms pour s’entendre dire que ses propos divisent le royaume et qu’il devait se rétracter pour ne pas être mis au ban de l’Empire, c'est-à-dire ne plus être un sujet de droit, ce qui revient à une condamnation à mort.

Luther demande un temps de délai et fait une déclaration dans laquelle il affirme : « je suis lié par les textes scripturaires que j’ai cités et ma conscience est captive des paroles de Dieu ; je ne puis ni ne veux me rétracter en rien, car il n’est ni sûr ni honnête d’agir contre sa propre conscience. Que Dieu me soit en aide[3]. »

Nous avons besoin d’entendre l’audace de cette protestation. Luther est un petit moine d’un couvent secondaire et il a en face de lui l’empereur et le représentant du pape qui lui ordonnent de se rétracter. Face à l’empereur et au représentant du pape, il oppose sa conscience captive des Écritures. En plaçant sa conscience au-dessus des autorités les plus légitimes, Luther a fait entrer le monde dans une nouvelle ère.

Être protestant, être enfant de Luther, c’est être capable de dire non quand tout le monde dit oui… et réciproquement.

Peut-être que je parle ici en tant que protestant français qui sait dans son ADN qu’il est minoritaire, mais j’ai cru comprendre qu’il en était maintenant de même à Genève. Hé bien, j’ai une bonne nouvelle pour vous : Dieu aime les minoritaires, ceux qui remontent le courant.

La Bruyère disait qu’un dévot était un homme qui sous un roi athée serait athée. Aujourd'hui, le roi est athée, alors ne soyons pas dévots et posons un acte de liberté en allant au culte.

La particularité de la liberté est qu’elle n’est pas naturelle, ce qui est naturel, c’est le grégarisme, de se comporter comme ses voisins. Au culte, nous cultivons le courage d’être différents.

3 - Principe médiologique : la Bible (Ps 40.5-10)

Il y a deux ans, nous avons célébré les cinq cents ans de la Réforme, et lors de nombreuses conférences, nous avons entendu que si nous protestants, sommes enfants de Luther, c’est essentiellement grâce à… Gutenberg.

D’autres réformateurs ont partagé des idées qui étaient proches de celles de Luther avant lui. On peut citer Pierre Valdo, John Wyclif, ou Jan Hus en Bohême, mais leur protestation est restée limitée dans le temps et dans l’espace. Lorsque les autorités romaines ont essayé de museler Luther, il était trop tard, car sa pensée avait été diffusée par les livres. L’historien Jean Delumeau a montré qu’entre 1517 et 1520, 300.000 livres de Luther avaient été imprimés. S’il est possible de faire taire une personne, il est beaucoup plus difficile d’arrêter un livre quand il a été imprimé et distribué.

Le Livre a permis la Réforme et a fondé la Réforme. Où est-ce que Luther a trouvé le moyen de se tenir face à l’empereur et au représentant du pape, sinon dans l’Écriture. Lorsqu’il a élevé sa conscience, il a pu le faire car cette dernière était captive des paroles de Dieu.

Au début des années 80, alors que j’étais jeune pasteur, j’ai été marqué par la remarque d’un vieux paroissien qui m’a dit : « Le malheur du protestantisme est que les protestants n’aiment plus la Bible. Si ce n’est pas pour rester accroché au Livre, alors il vaut mieux être catholique, car là au moins, on est à l’abri, protégé par la Tradition. » Trente-cinq plus tard, je me souviens encore de cette remarque et je fais mémoire de cet homme en la répétant devant vous ce matin.

Pour reprendre l’expression de Luther à Worms, si la conscience n’est pas éclairée par la Parole de Dieu, elle risque de n’être que le fruit de nos déterminismes ou le reflet de la pensée majoritaire qui suit les vents dominants. Si ce n’est pas pour être attaché à l’Écriture, alors le protestantisme se dissout.

Je me souviens d’un professeur de Nouveau Testament qui racontait qu’il était un universitaire et qu’il étudiait la Bible en scientifique. Quand il avait un article à écrire sur un passage, il prenait le texte grec puis étudiait chaque mot pour voir ses autres apparitions dans le Nouveau Testament ainsi que dans la littérature extrabiblique. Puis il travaillait le contexte et les conditions de rédaction du texte. Il lui fallait pour cela environ deux semaines. Quand il avait fini, il téléphonait à sa grand-mère qui élevait les chèvres dans les Cévennes, qui avait appris à lire dans la Bible et qui la lisait tous les jours. Il lui demandait son interprétation du texte et, en général, elle avait compris tout ce qu’il avait découvert. Il concluait en disant à ses étudiants : « Si vous voulez connaître la Bible, soit vous faites cinq ans de théologie en travaillant sérieusement les langues anciennes, soit vous la lisez tous les jours pendant cinquante ans ! »

L’épître aux Romains parle d’un renouvellement de l’intelligence[4]. Nous savons qu’il existe plusieurs formes d’intelligence, l’intelligence rationnelle, l’intelligence relationnelle, l’intelligence de la musique… À toutes ces intelligences, il faut ajouter l’intelligence spirituelle qui nous conduit à voir les choses comme Dieu les voit.

Conclusion : Pourquoi aller au culte ?

Parce que la grâce n’est pas naturelle. Ce qui est naturel, c’est la logique de l’échange, la valorisation de la performance.

Parce que la liberté n’est pas naturelle. Ce qui est naturel, c’est le grégarisme, de se conformer au temps présent.

Parce que l’intelligence spirituelle n’est pas naturelle. Il est écrit dans la Bible : pendant six jours, tu travailleras, et le septième tu t’arrêteras de travailler pour donner du sens à ton labeur. Pour un chrétien, le lieu où il trouve le sens de son existence est le culte.

Parce que le culte est un temps gratuit, et dans notre monde marchand où tout s’achète et tout se vend, rien n’est plus précieux que la gratuité.

 


[1] Phyllis Tickle, The great emergence, how christianity is changing and why.

[2] Col 1.11.

[3] Martin Luther, « Discours de Worms », Œuvres 1, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiades, 1999, p.878.

[4] Rm 12.2.

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