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11:00| | Prédications | Vincent Schmid

Le sens de la prédication

P s 119.   1Co 1.  Jacques 1 

Les premiers retours d’une prédication viennent à la sortie du culte. La plupart des auditeurs remercient le prédicateur sans laisser deviner plus que la politesse d’usage.

D’autres expriment des remarques voire des critiques, appelant à un échange plus approfondi. Ceci pointe au passage un aspect de nos Églises réformées: la parole n’y est jamais absolue, elle reste une parole humaine, discutable et révisable quand bien même elle est prononcée en chaire.

Lors d’une controverse restée fameuse qui l’opposait à Bossuet, le pasteur Claude affirme qu’une simple ménagère, la Bible en main, peut avoir raison contre un concile tout entier...

Certains enfin disent : ce matin, vous avez parlé pour moi.

Alors même que les personnes qui font cet aveu ne sont pas forcément connues ou si elles le sont, le prédicateur ne savait rien de leur vie privée à ce moment-là.

La question est dès lors la suivante : par quoi ces personnes ont-elles été touchées?  L’apôtre Paul  répond par une puissance.

S’interroger sur cette puissance c’est s’interroger sur ce qui fait la prédication chrétienne et son caractère unique.

Commençons par nous demander si cette puissance est celle de l’éloquence. L’art de persuader remonte très haut dans notre histoire. Nous sommes en Occident les héritiers des gréco-romains, qui ont poussé loin la technique oratoire dans les domaines judiciaire et politique, que l’apôtre n’ignorait pas.

Pourtant, il l’écarte d’entrée de jeu. «Pour moi quand je suis venu chez vous, ce n’est pas avec le prestige de l’éloquence que je suis venu vous révéler le mystère de Dieu ». Il choisit de se placer dans le sillage des prophètes d’Israël qui parlent sous l’effet de l’inspiration divine. Voici je mets mes paroles dans ta bouche annonce l’Eternel à Jérémie.

Pour l’apôtre cette manière seule convient au paradoxe absolu de la croix ainsi qu’au renversement des sagesses humaines qu’il entraine.

Mais tout de suite surgit une objection:

Ce choix de l’inspiration directe n’ouvre-t-il pas la porte à l’illuminisme, aux pulsions extatiques voire aux hallucinations ? Le réformateur Jean Calvin était très conscient de ce risque. Fixant les règles de la prédication réformée, il préconise une voie médiane entre le «maquerellage » - c’est le terme par lequel il désigne les séductions faciles de l’éloquence de salon  et « les rêveries fantastiques ». Il demande qu’on s’en tienne au sens naturel des mots et qu’on les expose le plus clairement possible. Calvin a mis la grande clarté française au service de l’Evangile, raison pour laquelle toute l’Europe venait l’écouter ici même à Saint Pierre.

Je me suis adressé à vous avec une démonstration de puissance. Si la puissance évoquée par St Paul n’est ni celle de l’éloquence pure, ni celle de la rêverie, comment la décrire ?

Par ses principaux effets. J’en vois quatre: l’actualité, la connaissance de soi, l’espérance et l’action

En premier l’actualité. Contrairement à l’apôtre nous sommes très éloignés dans le temps du Jésus de l’Histoire, chaque jour nous en éloigne un peu plus. Il ne nous reste que des écrits qui chaque jour sont plus anciens. Aux yeux d’un observateur extérieur  nous autres chrétiens paraissons très anachroniques. Nous nous basons sur un livre qui a 2000 ans dans ses parties les plus récentes. L’état du monde et de l’homme ont depuis foncièrement changé.  Comment le message de ce livre peut-il encore nous concerner ?

Et voilà que par la puissance à l’œuvre dans la prédication, une réalité hors d’âge se fraye un chemin jusqu’à nous. Nous faisons l’expérience et nous sentons que la parole matinale de l’Evangile  nous poursuit de son insistance et nous atteint  par delà les siècles qui nous séparent du commencement. Tout se passe comme si les choses commençaient et recommençaient  à chaque fois, balayant le préjugé d’anachronisme...

Calvin appelle ça faire son profit, spirituel et moral s’entend. Nous venons au culte pour faire  notre profit actuel d’un message formellement très ancien comme on boirait l’eau fraîche d’une source connue depuis très longtemps.

En quoi consiste ce profit ? C’est mon deuxième point, la connaissance de soi. La puissance à l’oeuvre dans la prédication lève le voile sur ce que nous sommes. Écouter la parole, lit-on dans l’Epitre de Jacques, c’est se regarder dans un miroir et se découvrir  tel que l’on est. Ce qui frappe dans les Écritures est qu’elles montrent ce qu’est un être humain en vérité et comment il se comporte.

La connaissance de soi et la connaissance de Dieu vont de pair. Vous avez remarqué que la révélation n’a pas lieu lorsque Dieu est seul. Il y a toujours un ou des êtres humains en face de Lui. La révélation selon la Bible est un vis à vis. Révélation de Dieu et révélation du soi humain sont indissociables. Aussi se présenter devant Dieu c’est se laisser dévoiler  tel que l’on est, sans masque, sans jouer de rôle, sans complaisance, sans mentir sur sa misère, ses contradictions, ses fragilités et ses déficits. C’est un examen de conscience qui peut être rude et la prédication doit être rude si nécessaire, Calvin dit courageuse, le courage d’aller a l’encontre et de déplaire. Il m’a dit tout ce que j’ai fait s’exclame la femme samaritaine après son face à face avec le Christ.

Une semblable mise à nu n’est cependant pas un but en soi. Cela n’a pas d’intérêt de rester bloqué dans la contemplation navrée de sa misère ou de son impuissance. Il y a un aspect essentiel à la connaissance de soi qui consiste en ce à quoi nous sommes appelés, notre vocation.

C’est mon troisième point, l’espérance et la consolation. Si nous sommes rassemblés ce matin c’est bien pour nous convaincre que nous sommes toujours plus que ce qui nous écrase. Ce qui importe ce n’est pas la grippe mais le médecin qui va nous en guérir. Ce qui importe n’est pas le péché mais la rémission des péchés. Ce qui importe est la consolation, entendez la consolidation intérieure, au regard des multiples tribulations que nous avons à traverser ici bas.

La puissance à l’œuvre dans la prédication fait éclore en nous ce sentiment de détente et de paix qui vient de la certitude d’être pardonné et aimé de Dieu.

Ce que nous serons n’a pas encore été manifesté lit-on sous la plume de St Jean. Se savoir enfant de Dieu revient à s’approprier la promesse d’être plus et autre que ce qu’on est aujourd’hui.

Permettez-moi d’illustrer cela par un souvenir personnel.

Jeune pasteur, je redoutais les visites à l’hôpital. J’en faisais mais sans enthousiasme. J’avais l’impression d’être totalement inutile auprès des malades. Un médecin, un chirurgien, une infirmière a les moyens d’intervenir mais moi?

Un jour une infirmière à qui je m’étais ouvert de cette difficulté m’a fait une réponse très simple: Vous êtes pour  rappeler aux malades qu’ils ne sont pas destinés à la maladie et à la souffrance mais à la guérison et la santé. Vous êtes là pour les réorienter vers la vie.

Et vous êtes là pour rappeler au mourant qu’il n’est pas un être condamné à se dissoudre dans le néant... Elle avait mieux compris que moi le secret de la prédication.

Se connaître comme être humain et comme enfant de Dieu est une chose. Mais comment  notre mode de vie peut-il se mettre en accord avec cette connaissance ? La prédication est aussi une aide pour l’action, ce sera mon quatrième point que le psalmiste formule ainsi: Ta parole est une lampe à mes pieds et une lumière sur mon chemin.

Encore faut-il se mettre d’accord. La conception réformée de l’action est aux antipodes  d’un code juridique intangible et divin prescrivant le permis et le défendu. L’apôtre Paul est très clair à ce propos: tout est à vous. Tout est à vous mais réfléchissez, ne  faites pas n’importe quoi! 

Une aide pour l’action ne consiste pas dire au gens ce qu’ils doivent faire ou ne pas faire, sinon à se fourvoyer dans une pesante admonestation morale.

La prédication chrétienne nourrit la liberté humaine pour qu’elle réfléchisse à la meilleure façon d’agir et qu’elle prenne ses responsabilités.

J’ai mis devant toi la vie et la mort, en toute circonstance débrouille-toi pour choisir la vie...

C’est ainsi que prêcher, c’est aussi donner à penser en vue de mieux faire. Pas plus, pas moins. Nous ne serons jamais le parti de Dieu avec ses mots d’ordre. Jamais notre chaire ne se fera le relais d’une quelconque propagande.

Nouons la gerbe. La puissance dont parle l’apôtre est la puissance du Saint Esprit. C’est elle qui transforme un texte ancien et  inerte en parole vivante. Nous ne sommes pas les gens du Livre, nous sommes les gens de la Parole vive.

Dans l’acte de prêcher, il y a trois acteurs. Celui qui parle, celui qui écoute et l’Esprit qui prédispose à parler et a écouter.

Nous pouvons dès lors comprendre de façon exacte ce que c’est que la Parole de Dieu. Un auteur moderne a comparé la lettre du texte biblique à l’aile repliée de l’esprit. La Parole de Dieu advient lorsque la lettre déploie ses ailes, prend son envol dans le ciel de l’âme  et nous élève au meilleur de nous-mêmes même.

Tel est l’office, sans équivalent, de la prédication chrétienne.

Vincent Schmid

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