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10:00| | Prédications | Sandrine Landeau

A quel moment renoncez-vous à collaborer avec quelqu’un, que ce soit dans un cadre professionnel, dans l’Église ou dans tout autre cadre associatif ? Quand la personne refuse une mission et part en claquant la porte sans même prendre le temps de s’expliquer ? Quand elle vous dit qu’elle va s’en occuper et ne le fait qu’à moitié et en traînant les pieds ? Quand elle se plaint de la réussite de la mission parce que cette mission n’était pas une mission acceptable ? Quand elle se morfond dans cet état malgré toutes vos mains tendues ? Dans un cadre professionnel, la première étape suffirait à rompre la relation de travail… Dans un cadre ecclésial ou associatif on est souvent un peu plus patient.es, mais la deuxième ou la troisième étape remettent en général largement en cause la pertinence de la collaboration entre vous et cette personne.

Et dans un cadre familial ou amical, à quel moment renoncez-vous à tendre la main ? Quand la personne s’embarque en pleine conscience vers une descente qui ne peut conduire qu’à une souffrance toujours plus grande ? Quand elle se met en danger, voire frôle volontairement la mort ? Quand la personne renonce à tous les appels et toutes les mains tendues ? Quand la personne s’enferme dans une attitude boudeuse et négative ? Quand, en toute mauvaise foi, elle se plaint d’événements sans grande importante, leur donnant une importance démesurée ? Il est probable que dans vos relations affectives, amicales, vous ne renonciez pas aussi vite que dans un cadre professionnel. C’est qu’avec nos amis, avec notre famille, on cherche à sauvegarder la relation le plus possible, on veut le meilleur pour eux, et on les aime. Alors on ne renonce pas, ou pas facilement.

Et Dieu, à quel moment renonce-t-il dans l’histoire de Jonas ?

Renonce-t-il quand il appelle Jonas et que Jonas s’enfuit ? Non : il envoie son souffle susciter une tempête et des marins insistants pour inviter Jonas au dialogue dans la prière.

Renonce-t-il quand Jonas refuse et saute à la mer, choisissant une mort certaine ? Non : il envoie un poisson recueillir Jonas.

Renonce-t-il quand Jonas ne traverse que la moitié de la ville pour annoncer la Parole de vie ? Non : il retourne les ninivites par la seule force de cette proclamation telle qu’elle est portée par Jonas.

Renonce-t-il quand, devant la réussite de sa mission et le salut des ninivites, Jonas s’irrite et se plaint de la bonté de Dieu et en fait une raison de choisir la mort au lieu de la vie ? Non : il l’interroge, il fait appel à sa capacité de discernement et d’amour pour les êtres humains. « As-tu raison de t’irriter ? » La question est un écho de celle posée à Caïn juste avant qu’il ne parte à la rencontre d’Abel et ne le tue : « pourquoi es-tu irrité et pourquoi ton visage est-il abattu ? Le péché couche à ta porte, toi, domine sur lui. » Jonas se trouve à un carrefour, comme Caïn. Et comme avec Caïn Dieu nomme ce qui se passe, et ce faisant le porte à la conscience pour que Jonas puisse agir sur cette irritation plutôt qu’être agi par elle.

Renonce-t-il quand Jonas s’irrite à cause de la disparition de l’arbuste et en fait une nouvelle raison de choisir la mort ? Non : il continue à interroger, à susciter la réflexion. Il part de l’amour de Jonas pour cet être vivant qu’est le ricin et tente de le lui faire étendre aux Ninivites et de (re)susciter l’envie de vivre. « As-tu raison de t’irriter à cause du ricin ? »

Renonce-t-il quand Jonas s’enferme dans sa mauvaise foi et dans son désir de mort ? Non : il lui adresse encore une fois la parole, une parole qui invite à la compassion, à la solidarité et au soin des autres humains, fussent-ils des ennemis.

Franchement, Dieu a de la patience ! Mes enfants vous témoigneraient que je n’en ai pas autant… et je ne suis probablement pas la seule !

Une telle patience nous indique que la relation entre Dieu et Jonas n’est pas de l’ordre de la relation professionnelle : Dieu n’est pas un patron qui confie à Jonas une mission à remplir. Si c’était le cas, si la mission comptait plus que celui qui l’exécute, Dieu aurait renoncé à Jonas et trouver un prophète moins récalcitrant. Ce qui compte ici, ce qui explique la patience infinie de Dieu, c’est son amour infini pour chaque être humain, et aussi pour Jonas.

Car que cherche Dieu dans toute cette histoire un peu folle ? Assurément, il cherche à changer le cœur des ninivites, à les remettre sur un chemin de vie. Mais pas seulement cela. Et peut-être même pas d’abord cela. Il cherche aussi à remettre Jonas sur un chemin de vie. Car lui aussi s’est engagé sur un chemin de mort. Pas le même que les ninivites assurément, mais par trois fois Jonas choisit bel et bien la mort : quand il saute à l’eau au début de l’histoire, et quand il demande deux fois à Dieu la mort.

Quand on regarde l’histoire attentivement, on s’aperçoit que ce qui conduit Jonas vers la mort, c’est l’écroulement de son image de Dieu, de sa compréhension de ce que Dieu doit être. Jonas estime que Dieu n’est pas juste en sauvant les ninivites au lieu de les punir pour leurs nombreuses fautes, dont la moindre n’est pas leur attitude envers le peuple d’Israël. Jonas estime que Dieu se trompe en choisissant la compassion et la vie pour eux, les ennemis d’Israël, plutôt que la mort. Comme Caïn estimait que Dieu était injuste en acceptant l’offrande d’Abel mieux que la sienne, Jonas estime que Dieu est injuste en choisissant de faire vivre les ninivites plutôt que de les punir. Et c’est tellement douloureux que Jonas, comme Caïn, choisit la mort. Pourquoi cette douleur ? Parce que derrière cette idée que Dieu est injuste en faisant ceci ou cela, il y a l’idée que Dieu est un distributeur de punitions et de récompenses. Avec une telle idée, Caïn et Jonas respectent ce qu’ils identifient comme étant la règle pour obtenir des bons points, ils mettent le boisseau leur élan de vie pour rester dans l’ornière de cette loi fantasmée. Cela structure leur être, leur vie. Et au moment où cette image de Dieu s’écroule, c’est toute leur structuration intérieure qui s’écroule, c’est le sens de leur vie qui est balayé d’un souffle. Tous leurs choix semblent dévalués, toute leur compréhension d’eux-mêmes, du monde et de Dieu est fracassée. Et puisqu’on ne quitte pas si vite la logique de toute une vie : ils se sont trompés, ils ne valent donc pas grand-chose ! Cela fait infiniment mal.

Dans une telle souffrance, comment choisir la vie ? Caïn avait choisi la mort pour son frère… Jonas choisit la mort pour lui. Avec Jonas comme avec Caïn, Dieu ne renonce pas ! Il reste là, tout proche, il manifeste que cette souffrance bien présente n’est pas nécessairement la fin. Il cherche la relation, il interroge, il suscite la réflexion, la responsabilité, pour restaurer la vie. Car malgré les apparences il y a de la vie, il y a de l’amour et de la compassion chez Jonas. C’est bien lui qui a prié ce magnifique psaume du chapitre 2 avec ce fameux « Le salut vient de l’Eternel » en guise de conclusion. Et pourtant… c’est lui qui s’irrite maintenant que le salut soit venu de l’Eternel aussi pour les Ninivites ! Jonas, comme nous tous, est plein de contradictions, d’ambiguïté. Il a en lui des abîmes de ténèbres et des chemins de lumières.

Tout au long de l’histoire, Dieu ne cesse de susciter cette lumière, de l’appeler à passer au premier plan, à grandir, à se déployer. Et pour cela il renonce à ses plans, mais il ne renonce pas à Jonas. Il renonce aux différentes tactiques quand elles s’avèrent infructueuses, mais il ne renonce pas à aimer Jonas et à l’appeler à choisir la vie.

L’histoire s’arrête là. Elle reste suspendue, ouverte. Elle est comme un point d’interrogation qui nous interroge nous aussi : que faisons-nous de cet appel sans cesse renouvelé de Dieu ? Que faisons-nous de son invitation à la vie ? Il vient à notre rencontre. Il se manifeste souvent de manière inattendue. Il appelle toujours à la vie. Choisissons-nous de vivre ? Parfois. Parfois non. Et quand nous choisissons la mort, la promesse qui nous est faite c’est que Dieu ne renoncera jamais à choisir pour nous la vie.

Dieu ne renonce jamais à nous. L’histoire de Jonas, comme tellement d’autres, nous parle d’un Dieu qui ne renonce jamais à aimer d’un amour que ne rebute aucun refus, aucune fuite, aucune crucifixion, aucun choix de mort. Elle nous parle d’un Dieu qui est le Dieu de Jonas et le Dieu du guerrier ninivite et le Dieu du marin de Tarsis et le Dieu de la petite fille de Ninive. Et aussi le Dieu de l’univers et le Dieu du poisson dans la mer si menaçante et le Dieu de la graine de ricin et le Dieu du ver. Cela donne le vertige c’est vrai. Et l’histoire de Jonas nous parle encore d’un Dieu qui aime tant les êtres humains qu’il se fait homme, entièrement, dans ce tout-petit fragile dans la mangeoire d’une étable dans un coin perdu du monde.

Amen.

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