No Video Files Selected.
18:00| | Prédications | Emmanuel Rolland

office du soir avec le l'Ensemble Vocal et Instrumental Buissonnier sous la direction de Vincent Thévenaz

« Jesu meine Freude »

 Merci Vincent Thévenaz et vous, tous les musiciens de l’Ensemble Vocal Buissonnier, de nous offrir pour cette nouvelle saison des Offices du Soir, après la longue interruption du printemps dernier, l’une des plus belles œuvres du répertoire que chacun ici a reconnu j’en suis sûr dès les premières mesures.

Jean-Sébastien Bach a composé « Jesu meine Freude » à l’occasion du service funèbre d’une grande dame de la bourgeoisie de Leipzig, Johanna Maria Kees – fille du recteur de l’université et veuve d’un conseiller municipal important, grand maître des postes de Saxe - et il n’était pas rare à l’époque, que l’on commandât à des compositeurs des œuvres musicales pour honorer la mémoire des défunts.  Bach s’est donc mis au travail et a dû j’imagine diriger lui-même son œuvre, le 18 juillet 1723 à la Nikolaus Kirche de Leipzig.

Depuis cette date, c’est l’œuvre qu’on entend le plus à l’occasion des services funèbres, à tel point que les organistes eux-mêmes demandent parfois grâce. Mais aujourd’hui, c’est le motet dans son intégralité que nous entendrons et dans le cadre de nos Offices du soir, c’est une première.

Sur le feuillet que vous tenez entre les mains, nous avons voulu vous donner le maximum d’indication en un minimum d’espace pour que tout le monde sache ce qu’est un motet et comment Jean-Sébastien Bach a composé le plus célèbre d’entre eux. Aux paroles un peu mièvre et sirupeuse d’un cantique très connu à son époque –« Jesu meine Freude » « Jésus ma joie, la pâture de mon cœur, Jésus mon trésor etc… » - Jean-Sébastien Bach a ajouté quelques versets du chapitre 8 de l’épître de Saint-Paul aux Romains, des versets qui opposent le règne de la chair au règne de l’esprit et qui culminent dans le verset 9, porté par la fugue centrale : Vous, vous n’êtes pas sous l’emprise de la chair, mais sous celle de l’Esprit, puisque l’Esprit de Dieu habite en vous. (Romains 8,9).

Les versets de l’épître aux Romains ajouté par le compositeur au cantique de Johan Crüger figurent en italique sur votre feuillet et seront donc évidemment au centre de notre méditation.

Il me reste à vous remercier pour votre présence, te saluer cher Roland pour ton compagnonnage fidèle, toi qui as inspiré ces offices et invoquer l’Esprit, puisqu’il en sera question ce soir, avec une prière de Karl Rahner, l’un des plus éminents théologiens catholique du XXème siècle.

Viens, Esprit du Père et du Fils. Viens, Esprit d'amour. Viens, Esprit d'enfance, de paix, de confiance et de joie.
Viens, allégresse secrète qui brille à travers les larmes du monde.

Viens, vie plus forte que nos morts d'ici-bas. Viens, père des pauvres et avocat des opprimés. Viens, Lumière de l'éternelle vérité et Amour répandu en nos cœurs. Nous n'avons rien qui puisse te contraindre ; mais c'est justement cela qui fait notre confiance. Notre cœur craint secrètement ta venue, tant tu ressembles peu à ce cœur grossier et toujours à la recherche de lui-même ; mais c'est justement la garantie la plus solide de ta venue malgré tout.

Viens donc, renouvelle et amplifie ta visite au-dedans de nous-mêmes. 
C'est en toi que nous mettons notre confiance. C'est toi que nous aimons, 
car tu es toi-même l'Amour. En toi, nous avons Dieu pour Père, parce qu’au-dedans de nous-mêmes, tu cries : ''Abba, Père bien-aimé !''

Demeure en nous, ne nous abandonne pas, ni dans l'âpre combat de la vie, ni à l'heure où il touchera à son terme et où nous serons tout seuls.

Viens, Esprit-Saint !

Motet

 

« Vous n’êtes pas sous l’emprise de la chair mais de l’Esprit puisque l’Esprit de Dieu habite en vous » Le cœur spirituel du motet de Bach est aussi le cœur théologique de l’épître de Saint-Paul aux Romains puisque les chapitres 7 et 8 de sa lettre capitale sont consacrés à un développement vertigineux sur l’opposition qui sépare le monde de la chair au monde de l’Esprit. Une lecture superficielle pourrait nous faire croire qu’il n’y a là rien de très original dans cette doctrine dualiste que Nietzsche hier et Michel Onfray aujourd’hui dénoncent et reprochent si fortement aux chrétiens d’avoir inventé. Mais ce n’est pas le propos de Paul. Ce n’est même pas du tout ce qu’il dit. Et même, c’est ce qu’il ne peut pas dire. D’abord parce qu’il est Juif. Et en tant que juif, il appartient donc à la seule culture, à la seule civilisation qui n’a jamais opposé le corps et l’âme, le domaine de la terre à celui du ciel. Pour les Juifs, le monde n’est pas un déchet du monde des dieux dont nous aurions à nous libérer et le corps n’est pas « un tombeau de l’âme » comme l’enseignait Pythagore et ses disciples.

C’est l’inverse : La terre, le monde, la matière sont des créations de Dieu et ils sont taxés dès les premières pages de la Bible de « très bonnes ». « C’est tout bon », c’est l’expression qui scande le premier récit de la création dans la Bible et c’est unique dans toute l’histoire des religions. La terre et tout ce qui l’habite est une merveille qui parle d’un créateur créatif et génial, prodigue et libéral qui donne tout sans rien compter. Il n’y a rien de mal là-dedans, rien de mauvais. Même la sexualité y est bénie. Et les corps, bien sûr, nos corps qui sont eux aussi des mini monde, des mini planètes, des créations prodigieuses 100% fait main. L’artisan qui a fait cela n’est pas un sagouin mais un génie.

Paul est héritier de cette tradition magnifique, et en plus il est chrétien depuis sa conversion sur le chemin de Damas et en tant que chrétien, il appartient à la seule culture, à la seule école de pensée pour laquelle, Dieu s’est incarné dans un corps de chair, ce qui serait pour un grec impensable. Or, dans le visage et le corps de Jésus, Dieu s’est donné à voir. Pleinement présent, visible dans cette matière, dans ces viscères, dans cette chair qui va s’émouvoir et connaître toutes les limites de la chair – la faim, la soif, la peur, le découragement, l’exaspération – mais aussi les souffrances et la mort.

Donc, pour ces deux raisons, parce qu’il est Juif et parce qu’il est chrétien, Paul ne peut pas adhérer au dualisme qui oppose le corps et l’esprit. Il écrira même aux Corinthiens que le corps et est « le temple de l’Esprit de Dieu ». A ma connaissance, c’est le seul. Le seul à dire que le corps est un temple digne, donc des égards que les gens de sa culture et de sa religion accordent au Temple, lieu par excellence où Dieu demeure.

Pourtant il y a bel et bien en effet une opposition frontale dans les deux chapitres centraux de sa lettre aux Romains et une opposition. C’est une opposition qui traverse la création dans son entier et qui nous traverse nous aussi entièrement; elle n’oppose pas la chair à l’esprit, le corps à l’âme, mais deux principes, Paul les appellera deux « lois », qu’il ne faut pas entendre au sens juridique du terme mais au sens scientifique comme on parle de loi en physique, qui indique donc des mouvements, comme on dit la loi de la pesanteur par exemple, ou les lois du mouvement de Newton, des lois qui se disputent nos corps, nos esprits, nos âmes ; deux lois qui se font la guerre à l’intérieur de nous-mêmes et de la création toute entière. D’un côté, « La loi de l’Esprit qui donne la vie dans le Christ Jésus » le grec dit « la loi de l’Esprit du Christ » et de l’autre « la loi du péché et de la mort ». Tout ceci paraît compliqué et très religieux c’est en fait une réalité existentielle qui touche n’importe lequel, n’importe laquelle d’entre nous.

Paul ne fait rien d’autre ici que de mettre des mots sur les conflits qui nous traversent tous et qu’il n’a jamais aussi bien exprimé qu’en Romains 7 où il dit une chose toute simple : « Le bien que je veux faire, je n’arrive pas à le faire ; et le mal que je ne veux pas faire, je le fais ». C’est cette réalité double qui nous traverse tous, que chacun d’entre nous peut observer en soi et autour de soi : « Le bien que je veux faire, je n’arrive pas à le faire ; et le mal que je ne veux pas faire, je le fais ». Autrement dit, nous sommes ingouvernables. Ce que nous aimerions pouvoir faire pour notre bien personnel et communautaire, nous n’y arrivons pas. Et nous ne savons même pas pourquoi. « Je ne me comprends pas – dira Paul - (et ce n’est pas le seul) car ce que je voudrais, je ne le fais pas ; ce que je déteste, c’est cela que je fais… Vouloir le bien est à ma portée, mais pas l’accomplir. »

Vous trouverez peut-être qu’il exagère, qu’il noircit le tableau, qu’il se torture la tête mais il y a beaucoup de gens qui pensent comme lui sans l’avoir jamais lu, tant il parvient à mettre des mots sur une expérience universelle. Pour prendre un exemple éculé, pardonnez-moi, prenez les scientifiques qui sonnent l’alarme sur le climat par exemple depuis tant d’années, avec des prédictions qui s’avèrent toutes vérifiables et justifiées. Pourquoi est-ce si difficile pour nous de changer de paradigme ? Tout le monde sait bien que nous ne pouvons pas « continuer comme ça », mais on continue. Qu’est-ce qui nous empêche de sortir du vieux monde, alors que nous savons bien que ce que nous faisons condamne en quelque sorte l’avenir et les générations futures. Qu’est-ce qui nous empêche de rendre notre monde plus habitable à tous par une meilleure répartition des richesses ; par une solidarité plus vive entre nous tous, une consommation plus sobre ?

Autre exemple, là encore pas très original : la crise que nous vivons qui a surpris tout le monde mais qui au fond n’a rien de surprenant compte tenu de nos « modes d’existence » révèle l’importance de tous les métiers dits de « service » – que ce soit le personnel de la santé mais aussi dans l’éducation, et dans la culture, nos artistes qui sont capables de faire vivre le patrimoine immatériel de l’humanité en jouant aujourd’hui encore pour nous, des œuvres qui littéralement nous sauvent par leur beauté et leur profondeur. Pourquoi tous ces métiers, toutes ces vocations relèvent-elles aujourd’hui encore du sacerdoce, alors que nous les savons vitales pour l’équilibre, la santé mentale et psychique de tous ?

Paul n’a pas de réponse à ces questions. Paul ne sait pas plus que nous pourquoi nous n’y arrivons pas. Il ne peut que constater cette puissance d’inertie qui nous paralyse quand nous devrions réagir, bouger, avancer, évoluer, nous transformer.

S’il n’a pas de réponse à la question de savoir pourquoi nous restons paralysés, inertes devant les défis, les changements, les conversions que nous devons opérer sous peine de mort, il sait non pas « ce qui » mais « qui » peut nous tirer de là ; qui peut nous délivrer de « ce qui nous entraine à la mort » : C’est Jésus-Christ. Mais attention, Jésus-Christ, pas le Dieu des premiers chrétiens ; Jésus-Christ pas le fondateur d’une nouvelle religion qu’on appellera le christianisme, qui n’est ni meilleure ni pire que les autres, mais Jésus-Christ comme puissance de vie ; Jésus-Christ comme puissance de résurrection ; Jésus-Christ comme puissance de transformation ; Jésus-Christ comme, puissance de relèvement. Et qui n’appartient à personne parce qu’il se donne à tous. Qui s’offre et qui s’invite chez n’importe qui, même chez Paul, l’avorton, le dernier des derniers, le nul d’entre les nuls, l’assassin qui portera sa vie durant un mort sur sa conscience. Si même chez lui, Paul, cette puissance de transformation nommée Jésus-Christ a pu agir, chez un certain nombre d’entre nous dont les cas ne sont peut-être pas aussi désespérés, son Esprit s’offre aussi comme levier de changement, puissance de transfiguration.

C’est en ceci que Jésus est ma joie, notre joie. Joie d’être trouvé quand je suis perdu. Joie d’être visité, habité, aimé, animé, rejoint par « celui qui peut tout » quand tout me semble impossible. Joie de recevoir sa part de lumière dans les brouillards de l’existence et sa part de confiance dans les angoisses qui nous, traversant nous entravent. Joie de ce Christ vivant, dans l’espace et dans le qui sont les nôtres, avec des défis non moins paralysants que ceux que le monde a connu au début de son premier millénaire. Joie en Christ vécue, partagée par les plus grands génies créateurs que le monde ait abrités – Saint Paul, Martin Luther, Jean-Sébastien Bach – comme les anonymes, les gens aussi bêtes et aussi simples que moi qui pressentent pourtant derrière tout ce que eux ont vu et su exprimer avec tant de grâces, quelque chose de puissant où prend sa source quelque chose de rare et précieux qui a décidément à faire avec la joie, la joie de vivre.

« Je crois en Dieu. Par lui, l’univers et notre existence sont créés toujours à nouveau. Dans le chantier du monde son esprit nous anime et nous porte. Il donne chaque jour à notre vie un sens positif, une dignité fondamentale, une vocation créatrice. Dieu est l’avenir de l’humain. Sa présence éternelle dépasse les espaces et les temps.

Je crois que Jésus nous fait entendre Sa parole. Il est celui qui l’Incarne à jamais. Il est celui que nous écoutons et vers lequel nous regardons pour savoir qui est Dieu, qui est l’être humain : un Dieu d’amour, selon la bible, un dieu pour lequel l’être humain et la terre entière sont une espérance invincible.

Autour de la table sainte qui rappelle toutes les tables profanes autour desquelles Jésus, le Christ, a pris place - ces tables rendues sacrées par leur caractère convivial et par sa présence amicale – ces tables où il sut rassembler autour de lui sans distinction de rang, de sexe ou de culture, c’est autour de cette table que nous faisons mémoire du dernier repas qu’il prit avec ses disciples.

Pour ne pas les laisser à eux-mêmes ; pour leur dire aussi qu’il est toujours là avec eux dès que deux ou trois se réunissent en son nom, il leur a demandé de répéter ses derniers gestes, de répéter ce moment où il était, où il est et où il demeure pour les siècles de siècles pour nous rassembler en lui et se donner à nous.

Voici ce que j’ai reçu du Seigneur et ce que je vous ai donné : Le Seigneur Jésus dans la nuit où il fut livré prit du pain, et après l’avoir béni, il le donna à ses disciples en leur disant : « Prenez, mangez, ceci est mon corps, donné pour vous ». De même après le repas il prit la coupe et après l’avoir bénie il la passa à des disciples en leur disant prenez et buvez-en tous, cette coupe est la nouvelle alliance en mon sang. Chaque fois que vous en boirez, faites-le en mémoire de moi. Chaque fois que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous annoncez la mort du Seigneur et son retour. 

Or, vous, vous n’êtes pas (Ne soyez pas, ne vivez pas) sous l’emprise de la chair, mais sous celle de l’Esprit, puisque l’Esprit de Dieu habite en vous. Et si l’Esprit de celui qui a ressuscité Jésus d’entre les morts habite en vous, celui qui a ressuscité Jésus, le Christ, d’entre les morts donnera aussi la vie à vos corps mortels par son Esprit qui habite en vous »

Cookies

This website uses cookies. By continuing to browse the site you are agreeing to our use of cookies. Find out more