C’est une femme qu’on va lapider
C’est une femme qu’on va tuer à coups de pierre. Son destin est scellé dans la pierre des lois mosaïques : elle le sait, ils le savent. Elle a fauté et elle va payer de sa vie ; c’est la loi.
Où est son amant qui a fait l’amour avec elle ? N’est-il pas coupable lui aussi ?
Où est son mari ? ne va-t-il pas la secourir ?
Où est sa famille, ses amis ? n’y-a-t’il pas quelqu’un pour la soutenir ?
Non, il n’y a personne pour la défendre…tous sont d’accord : elle doit mourir pour ce qu’elle a fait et pour ce qu’on pense qu’elle a fait.
Abandonnée de tous, elle se retrouve livrée aux autorités morales et bien-pensantes. Quelle jouissance pour ces hommes de pouvoir condamner, détruire, tuer cette femme impure !
Qui est jeté au milieu du cercle auj ?
Avec la prise de parole de la vague metoo, ont été mises à jour les violences subies par un nombre ahurissant de femmes. D’enfants et de mineurs aussi. Harcèlement, agressions sexuelles, viols, chantage et dénigrement. Et ce n’est pas qu’au loin que des femmes sont sacrifiées aujourd’hui sur l’autel d’un soi-disant honneur de leur clan, de leur famille ou de leur religion à coups de pierre, d’acide ou d’alcool à brûler ; c’est aussi chez nous dans nos maisons et nos familles que des femmes sont brutalisées, niées, violentées, détruites, parfois assassinées. 26 féminicides ont été commis en Suisse en 2021. 26 femmes assassinées en raison de leur sexe. Et combien de femmes vivent auj. dans une prison de peur, de coups et d’abus. Murées là avec leurs enfants.
Dans ce cercle meurtrier, violences et abus se retournent encore souvent contre les victimes ; avec le poids de la honte, avec le fardeau du silence, avec une culpabilité ancestrale.
Dans l’ombre d’une victime désignée, que ce soit en raison de son sexe, de sa race, de son orientation sexuelle, de son statut social ou son origine, c’est l’autre, comme étranger, comme alien que la bien-pensance liguée va éliminer. Pourtant, en déshumanisant une personne, c’est l’humanité entière qui se perd et s’aliène ; mais on fait comme si on ne le savait pas.
D’autant plus, qu’être en cercle donne un contrôle, une maîtrise et une justification. Le cercle est là de bon droit ; il est là pour rétablir l’ordre, pour soumettre les contrevenant.e.s, pour faire un exemple.
Si Jésus prend parti pour la femme, il est contre la loi et c’est lui qui mourra.
S’il abandonne lui aussi la femme à la justice de ces hommes, alors, non seulement la femme mourra mais lui perdra toute autorité. Ce groupe de religieux aura gagné. Au nom de Dieu, on pourra continuer de lapider en paix… et ils se seront débarrassés du petit gêneur de Nazareth. D’une pierre, ils auront fait deux coups !
Mais Jésus résiste. Et il le fait d’une manière étonnante, déroutante : en refusant l’escalade de la justification recherchée par ces hommes de loi. Lui, il se baisse, il s’abaisse et s’agenouille, il quitte le cercle des visage haineux et éructant, il se fait proche de la femme jetée à terre, terrorisée, tétanisée ou résignée, l’Evangile ne nous le dit pas. Cet homme se met à la hauteur de cette femme. Il ne l’abandonne pas. Il la considère comme une personne. Dans ce geste, il la rejoint et il sonde sa peur, sa honte et sa souffrance.
N’est-ce pas une étape indispensable quand on se retrouve piégé-e dans la violence ? Se donner le temps et les moyens de voir l’ampleur de ce qui nous arrive et de chercher les moyens d’en sortir.
Avec cette phrase, c’est un univers qui s’effondre et un autre qui s’entrouvre. La femme était au centre, enfermée au milieu du cercle de haine des hommes, sans aucune issue. Désormais, tous sont concernés par l’interpellation de Jésus ; tous sont mis dans la même boucle
« Que celui qui n’a jamais péché lui jette la première pierre » ….
La loi n’est pas là, au service des dominants, des savants, des puissants, pour justifier leurs recours à la violence et à la stigmatisation de celles et ceux qui dérangent ; la loi, comme le rappelle Jésus, donne un cadre de vie commune dans le respect de chaque personne, de son intégrité physique et psychique. Et ce cadre est le même pour tous et toutes.
Jésus est parvenu à desserrer l’étau autour de la femme, en renvoyant ses accusateurs à leur conscience et à leurs actes. Ils ont lâché leurs pierres et leur goût du sang et du meurtre.
Cela aurait dû marquer la fin de toute lapidation, de toute mise à mort, de toute exclusion violente et négatrice d’autrui…qui sommes-nous pour juger les autres ? Par quelle aberration avons-nous pu, comme chrétiens et chrétiennes, inventer un recours légitime à la violence contre autrui ?
En respectant sa dignité il la libère de l’humiliation et lui offre un nouveau départ. Alors oui, aux yeux du Christ, il y a une sortie possible hors de la violence endémique, qui ronge nos sociétés et nos relations.
« Va et ne pèche plus », c’est un envoi libérateur et audacieux qui accompagne la femme debout. Jésus n’est pas venu condamner. Il est venu sauver. Il est venu abolir ce qui conduit à la mort. Et il permet alors ce qui fait vivre et ce qui donne la vie.
Va et ne pèche plus, je l’entends comme un « vis aime et deviens ». Vas-y essaye et recommence. Lance-toi et ne te décourage pas ; saisis ta vie.
Vivre et laisser vivre est plus capital aux yeux de Jésus que de désigner des coupables et de faire payer le prix.
La condamnation est levée ; la femme est libre, les hommes peuvent retourner aux champs, à l’établi, à l’écritoire, avec des mains qui servent la vie, des mains qui servent leurs proches, leurs familles, leurs communautés ; et non des mains qui servent la mort à coups de pierre lancée contre autrui. La condamnation est levée – avons-nous bien entendu ? Nous pouvons lâcher nos pierres et nos besoins de lapider, de lyncher, de dégommer l’autre ; nous pouvons sortir de nos prisons de peur et de violence, redresser la tête, retrouver la parole et reprendre librement le cours de notre vie.
Amen