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10:00| | Prédications | Sandrine Landeau

Dans une interview parue cette semaine dans le Temps, Anne Sinclair parlait de la France comme d’un pays sans espoir. On pourrait sans doute étendre cette constatation à d’autres pays occidentaux.  Il est vrai qu’on ne croit plus guère au grand soir, que les inégalités s’aggravent, que le Covid puis la guerre en Ukraine nous ont rappelé brutalement, chacun à leur manière, que rien n’est acquis, que notre tranquillité n’est pas assurée, jamais. Mais s’agit-il d’un manque d’espoir ou de confiance, de foi – je vous rappelle qu’en hébreu comme en grec c’est un même mot qui dit ces deux notions ?

Notre récit nous parle aussi de nous, comme toujours avec les récits de la Bible. Ces disciples enfermés dans leur peur, dans leur manque d’espoir peut-être, de confiance sans doute, ne sont pas sans rapport avec nous. Mais de quelle foi, ou de quelle confiance parle-t-on ? Comment naît-elle ? Et qu’est-ce que ça change dans nos vies ?

La foi je l’ai dit, c’est d’abord la confiance. C’est-à-dire qu’elle n’est pas d’abord un contenu doctrinal, mais d’abord une relation. Quand vous faites confiance à quelqu’un, vous ne prononcez pas d’abord une série de définitions de cette personne, vous êtes en relation avec elle et cela vous inspire de la confiance. La confiance ne se décrète pas, elle s’instaure dans une relation qui dure, elle se tisse petit à petit. Ensuite seulement vous pouvez rationaliser cette confiance, dire que vous faites confiance à cette personne parce que ceci ou cela.

Les disciples assemblés au soir de Pâques n’ont plus confiance en rien ni en personne. Jésus est mort sur la croix, il a disparu et tout est fichu, tous leurs espoirs sont envolés. Leur foi-confiance n’est plus, clouée en croix comme celui en laquelle ils l’avaient placée.

Mais voilà que de l’inattendu se produit. Jésus tout à coup est là, au milieu d’eux. Et pas n’importe quel Jésus, mais Jésus crucifié et ressuscité. A vues humaines, c’est un scandale ou une folie pour le dire avec les mots de Paul. Celui qui vient les rejoindre n’est ni triomphant, ni vengeur, ni juge, il est là simplement. Le ressuscité et le crucifié ne font qu’un et Jésus était, est, et sera présent au cœur de nos vies, même et surtout quand elles sont les moins reluisantes. C’est la bonne nouvelle en laquelle nous sommes invité.es à placer notre confiance.

Ce n’est pas le Dieu que nous voudrions. Nous voudrions un Dieu qui évite la crucifixion, triomphant des oppositions qu’il rencontre et évitant de se mettre dans une telle situation. Ou bien nous voudrions un Dieu tout aussi triomphant qui, selon un plan bien établi, se laisse mettre en croix, pour mieux montrer sa puissance dans un retour qui efface ce passé infamant et blessant, et qui revient intact, auréolé de puissance et de lumière.

Or le ressuscité qui vient à la rencontre des disciples n’est pas triomphant, il n’est pas auréolé de puissance et de lumière. Il se montre comme le crucifié, avec ses plaies béantes aux mains, au côté, qu’il les invite à regarder. Les souffrances qu’il a traversées n’ont pas été effacées par la résurrection : les traces en sont bien visibles. L’incarnation n’a pas été une parenthèse vite refermée, un passage obligé mais vite oublié. Jésus n’est pas Zeus qui s’incarne de temps en temps parmi les humains et rejoint ensuite le mont Olympe pour retrouver son train train quotidien de Dieu, pas le moins du monde atteint par ce qu’il a vécu lors de son incarnation. Oui, Jésus ressuscité se reconnaît à ses blessures : elles font partie de son identité, de son humanité aussi, comme nos blessures font partie des nôtres.

Mais le ressuscité n’est plus cloué en croix, il a quitté la croix, ses blessures ne le figent pas à la crucifixion, elles sont traversées par la résurrection, et relues à la lumière de la résurrection. Le ressuscité reste le crucifié au sens où la crucifixion fait partie de son chemin, fait partie de son incarnation. Mais il ne reste pas figé ou défini seulement par cela : le Christ n’est plus sur la croix, il est ressuscité ! C’est pour cela que les réformés en général évitent de placer dans les temples des crucifix portant Jésus agonisant et préfèrent une croix vide. Le ressuscité n’est plus en croix, mais il n’est pas sans la croix. Il assume totalement l’histoire, l’incarnation et les souffrances. Et il se montre au premier abord toujours aussi faible et décevant : encore marqué par l’expérience de la croix, certes présent différemment qu’avant sa mort, mais suscitant encore doute ou indifférence parmi ceux qui ont été les plus proches.

Mais la bonne nouvelle est précisément là : dans cette présence toujours aussi faible selon les critères humains dominants de réussite. Le Christ ressuscité est présent auprès de nous tel.les que nous sommes, comme Jésus de Nazareth était présent auprès de celles et ceux qu’il rencontrait sans condition préalable.

Ce jour-là, celui où il se manifeste pour la première fois aux disciples assemblés, il ne s’adresse pas à des champions de la foi : tous l’ont abandonné au moment de son arrestation, tous se sont tenus loin de la crucifixion – c’est peut-être pour cela qu’à eux il faut montrer les plaies (Marie-Madeleine n’avait pas eu besoin de cela, elle qui s’était tenue au pied de la croix), tous ont renoncé à croire que Jésus de Nazareth parlait bien au nom de Dieu, aucun n’a cru à la nouvelle incroyable annoncée par les femmes au retour de leur visite au tombeau. Jésus ne s’adresse pas à des champions de la confiance : tous leurs actes sont guidés par la peur des représailles, la peur de subir le même sort que Jésus. Il ne s’adresse pas non plus à des champions de la morale : dans la tourmente, ils ont d’abord pensé à sauver leur peau, et maintenant ils se terrent dans un lieu bien fermé pour empêcher toute intrusion du dehors. Probablement qu’à ce moment-là les disciples sont en train de s’interroger – comment avons-nous pu nous laisser entraîner par cet homme ordinaire ? qu’allons-nous devenir maintenant que tout est fini ? –, de refaire l’histoire – si Jésus nous avait écouté et avait renoncé à venir à Jérusalem, si Judas n’avait pas trahi, et d’ailleurs comment avons-nous pu nous tromper à ce point sur lui ? –, de distribuer les responsabilités – des autorités juives ou romaines, qui sont les plus coupables ? –, peut-être même d’oser une auto-critique – est-ce que nous n’aurions pas dû quand même le défendre, tenter de le sauver, activer nos réseaux pour nous faire entendre auprès de Ponce-Pilate ?

Et c’est au milieu d’eux, miteux, piteux, peureux, honteux, que Jésus est présent, comme il l’a été, comme il avait promis qu’il le serait, pour eux et pour nous. Il est présent non pour leur faire des reproches, mais pour leur offrir la paix dans toutes ces tempêtes – intérieures et extérieures – qu’ils rencontrent. Il faut plus que la misère, plus que les insuffisances, plus que les peurs, plus que la honte, pour tenir Jésus à l’écart. Ou pour le dire encore avec les mots de l’apôtre Paul : rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu manifesté en Christ. Et si une fois ne suffit pas, Jésus ne se décourage pas. Il répète, si nécessaire : « La paix soit avec vous ». Ou « La paix est avec vous ». Il revient si nécessaire. Et il fait confiance : c’est à ces gens-là, aussi insuffisants soient-ils, qu’il confie la mission de raconter, de dire l’amour de Dieu pour chaque être humain. Pourquoi à eux justement ? A ces non-croyants ? A ces manquants de confiance ? Justement parce qu’ils sauront mieux que quiconque dire que la confiance de Dieu en eux ne repose sur rien. Qu’elle crée la confiance chez eux au lieu d’en dépendre. Ils savent à quel point ils manquent de foi et de confiance ! Ils savent à quel point Jésus leur fait confiance et ressuscite en eux la confiance en lui. Jésus leur souffle l’esprit créateur l’esprit de vie. Il remet de la vie là où ils sont figés par la peur de la mort. Il les envoie pour quoi ? Pour raconter. Pas pour donner la seule vérité possible mais pour qu’ils racontent, chacun à leur façon, ce qui leur est arrivé. Cela les délie de ce qui retient prisonnier dans les filets de la culpabilité ou de la honte. Il les envoie pour qui ? Pour nous : pour que vous, moi et d’autres l’entendions et pour que cela nous mette en route.

Mais ça ne suffit pas. Jésus revient une semaine plus tard.

On lit ce récit comme Jésus revenant pour convaincre ce pauvre Thomas qui doute de manière un peu ridicule, ce qui est partiellement juste, mais largement caricatural j’y reviendrai. Mais Jésus revient tout autant pour les autres disciples, ceux qui étaient déjà là la première fois. Ceux-là ont vu Jésus, ils ont vu « le Seigneur » ont-ils dit à Thomas, ils ont reçu de lui la paix, le souffle, et une mission, mais ils en sont toujours au même point une semaine plus tard. Toujours enfermés dans le même lieu, avec les mêmes personnes – plus Thomas quand même – et tenaillés par les mêmes peurs. Jésus ressuscité n’est pas plus efficace que Jésus de Nazareth… sa Parole est parfois refusée, tenue en échec… mais rien ne peut nous séparer de l’amour de Dieu manifesté en Christ ai-je dit, sur les traces de Paul. Alors Jésus revient, une nouvelle fois. Et il répète encore une fois : « la paix est avec vous ». Et il parle à Thomas.

Thomas je l’ai dit, a mauvaise presse. D’abord il n’était pas là quand il fallait l’être semble-t-il, il a manqué la première apparition. Mais est-ce un mal ? Je l’ai dit, après la première apparition, les disciples n’ont pas changé. Ils ont certes pu dire, un peu comme on récite une leçon, « nous avons vu le Seigneur », mais rien n’a changé dans leur vie. Ils ont vu, mais ils n’ont pas rencontré. Ils ont vu, mais ils n’ont pas fait confiance à ce qu’ils ont vu. Et Thomas n’a pas fait confiance à leur leçon si peu incarnée. Peut-on l’en blâmer ? Je ne crois vraiment pas ! Même s’il avait rencontré des témoins plus ardents, sa réaction serait belle. En somme, Thomas refuse de se contenter de on-dit, de leçons apprises. Il refuse une foi livresque, il cherche une rencontre personnelle. Thomas est en quête : il prend au sérieux ce que les autres lui ont dit, et il veut faire un chemin personnel. Si on veut le dire pour nous aujourd’hui : la catéchèse – qu’elle s’adresse aux enfants, aux adolescent.es ou aux adultes – n’est rien sans l’expérience et la quête personnelles.

Jésus, lorsqu’il revient, s’appuie sur cette quête de Thomas, il la prend en compte et il l’utilise pour faire bouger non seulement Thomas mais tous les autres, et nous aussi, avec nos besoins spécifiques, avec nos manières propres de croire et de ne pas croire, de réfléchir ou de laisser tomber. On a beaucoup reproché à Thomas de douter, comme si la foi excluait le doute. Mais le contraire de la foi, ce n’est pas le doute de Thomas, c’est la peur des disciples. La foi est un chemin permanent d’interrogations, de doutes, d’ajustements, de confrontations avec nos vies, d’aller-retours entre nos expériences, nos lectures, nos compréhensions, et celles des autres et ce qu’ils et elles nous en disent.

Thomas sort transformé de sa rencontre avec le ressuscité : lui ne dit pas « j’ai vu le Seigneur », mais « mon Seigneur et mon Dieu ». Ce n’est pas une affirmation doctrinale abstraite, ou en tout cas pas seulement. C’est une relation, une rencontre, même manquée parfois !

Et ce n’est pas seulement Thomas, mais tous les disciples qui sont ressuscités, remis en marche et en vie puisque le récit se conclut par ces mots qui s’adressent à tous les lecteurs et lectrices, quelle que soit l’époque : « ces choses ont été écrites pour que vous croyiez ». Elles ont été écrites par celles et ceux qui ont appris à connaître le Christ par le témoignage de celles et ceux qui ont vécu ces événements et qui ont retrouvé le souffle nécessaire pour les raconter, pour leur faire connaître, pour dire comme cela a transformé leur vie ! Elles ont été écrites pour que le témoignage, l’Ecriture, puisse tenir lieu de rencontre, pour celles et ceux d’entre nous qui n’ont pas vécu d’expérience mystique de rencontre avec Jésus.

Elles ont été écrites, transmises, racontées, prêchées, annoncées, pour que nous connaissions nous aussi cette expérience de faire confiance à ce Dieu qui nous aime tel que nous sommes, au point d’assumer la crucifixion dans la résurrection, au point de se rendre présent dans ce qu’il y a de moins glorieux dans nos vies.

C’est bien cela l’enjeu : croire, faire confiance, ou ne pas croire, ne pas faire confiance. C’est l’objectif de l’Evangile, c’est l’objectif de la catéchèse, c’est l’objectif des cultes : témoigner de ce Dieu auquel on peut faire confiance, d’une manière surprenante et réellement transformante. Témoigner de ce Dieu qui nous prend tel.les que nous sommes et raconter nos vies transformées. Tellement que la rencontre avec lui marque le premier jour : un nouveau premier jour, le premier jour d’une vie autre, d’une vie à ses côtés, à se laisser transformer par lui et à avancer avec lui. Certaines choses ont été écrites, mais tout n’est pas écrit, tout n’est pas dit, parce qu’il y a la place pour notre histoire, pour votre histoire, pour la mienne.

Amen

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