No Video Files Selected.
10:00| | Prédications | Emmanuel Fuchs

Jean 15, 1-11

Il y a parfois dans la Bible des passages difficiles, qu'on a de la peine à comprendre du premier coup ; je pense à certains textes de l'Ancien Testament ou de Paul par exemple, il nous faut les relire plusieurs fois avant de pouvoir les comprendre, parce que les mots ou les phrases sont compliqués. Avec ce texte de Jean 15, rien de tout cela ; après l’image du berger, voici celle de la vigne. Une image simple, parlante, même pour le citadin que je suis : les phrases sont courtes, les mots utilisés faciles à comprendre, et pourtant ce texte pose beaucoup de difficultés parce qu'en peu de mots, il aborde un nombre de thèmes assez faramineux. On aime à dire qu'un bon sermon doit se concentrer sur un seul thème alors là il y a l'embarras du choix :

ñ  À commencer par l'image de la vigne, présente à travers toute la Bible (de Noé à Cana en passant par les prophètes)

ñ  Le thème du rejet (être jeté dehors ... pas évident)

ñ  Comment comprendre cette affirmation qu'en dehors de lui on ne peut rien faire… ?

ñ  La question de ce à quoi nous sommes rattachés

ñ  L’affirmation qu'il suffit de demander pour que cela arrive

ñ  Le lien entre le Père et le Fils

ñ  Qu’est-ce qu'être un disciple

ñ  La question de la vérité

ñ  Celle de « demeurer » en Dieu

 

Ça semble un peu partir dans toutes les directions. Et puis franchement, entre vous et moi, ce n'est pas le texte que je préfère dans l'Evangile ; je vous vais même vous avouer qu'il me dérange, et qu'à certains égards il me fait problème. Il relève d’une certaine dureté.

Pas facile d'entendre ces versets 5 et 6 : « Je suis la vigne, vous êtes les sarments : celui qui demeure en moi et en qui je demeure, celui-là portera du fruit en abondance car, en dehors de moi, vous ne pouvez rien faire. Pas facile à entendre comme phrase, surtout quand il rajoute : « si quelqu'un ne demeure pas en moi, il est jeté dehors ».

Quelle étonnante manière de parler de la foi ! Pas vraiment celle que nous aimons annoncer. Où est l'ouverture, le pardon, la gratuité ? Cela semble très exclusif ! Et puis cela laisserait à penser qu'il « suffirait » de demeurer auprès du Christ, peu importe notre sincérité, pour obtenir tout ce qu'on veut. Il suffirait en quelque sorte de « faire partie du club » et le tour est joué ! Non ça ne va pas !!! Ce n’est pas l’Evangile que j’aime annoncer !

Si c'est cela que l'Evangile nous invite à entendre ce matin, alors autant fermer le livre tout de suite et passer à autre chose, car c'est franchement imbuvable ! Ce discours arrogant et cette manière si exclusive de penser la foi a déjà fait trop de tort à nos Eglises dans le passé. Pour le pasteur que je suis, qui essaie, tout en disant avec force et conviction sa foi, de rester attentif aux demandes et aux aspirations de personnes distantes de l'Evangile, ce texte ne semble pas m'aider à offrir une lecture plus ouverte, tolérante de l'Evangile.

Mais comme toujours, la Bible c'est beaucoup plus subtil qu'il n'y paraît à première lecture. Alors devant mon embarras face à ce texte, j'ai lu un peu ce qu'il y avait juste avant et juste après et quelle surprise lorsque dans les versets qui suivent on peut lire : « 12Voici mon commandement : aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. 13Nul n'a d'amour plus grand que celui qui se dessaisit de sa vie pour ceux qu'il aime. 14Vous êtes mes amis si vous faites ce que je vous commande. »
Quel texte merveilleux tout à coup : il n'est plus question de produire, mais de servir, plus question de rejet mais de joie, plus question de dépendance mais d'amitié !

Cette suite du texte nous donne alors quelques clefs pour mieux comprendre ce texte et ce qu'il peut vouloir dire. Tout d'abord, il faut bien se souvenir que ce passage fait partie de ce qu'on appelle les « discours d’adieux » (les chapitres 14 à 17), un genre littéraire connu dans le Judaïsme par lequel un personnage vénéré exhorte son entourage au moment de mourir.

Il est extrêmement intéressant de noter que le verset qui précède directement notre passage dit (14,31) : « Levons-nous et partons d'ici... » cela semble suggérer que dans un premier temps, le discours d'adieux s'arrêtait là, au chapitre 14, et que ce n'est que dans un deuxième temps qu'un autre rédacteur aurait cru bon d'ajouter une autre version des paroles d'adieux du Christ, probablement actualisées en fonction de la situation nouvelle que devait affronter la communauté johannique : un contexte d'exclusion et de persécutions. Pendant des décennies, les chrétiens, d'origine juive, ont pu être à la fois disciples du Christ et membres de la synagogue, rattachés à la tradition juive. Cela ne devient plus possible ; il s sont désormais chassés des synagogues et il est alors urgent pour eux de se situer, de savoir à qui ils se rattachent. C'est un problème crucial !

La formule « en dehors de moi, vous ne pouvez rien faire » qui pourrait laisser penser que la Bible déprécie toute forme d'action humaine en dehors de la foi (c'est qui heureusement être loin d'être le cas !) veut plutôt dire que si vous vous détachez du Christ, vous ne pouvez plus rien faire en qualité de disciple. Si le disciple n'est pas attaché au Christ, comme le sarment au cep, sa mission perd de son sens.  Et cette parole-là est un vrai défi pour nous aujourd’hui. On a parfois tendance à croire que si nous si nous diluons notre message, il sera plus compatible et audible dans la société. Je pense à notre témoignage personnel, mais aussi à l’action de l’Eglise notamment dans des ministères comme les aumôneries, l’action sociale ou le témoignage auprès des personnes distantes. Il est important que nous puissions dire au nom de qui nous œuvrons, quel est notre enracinement, notre attachement au Christ. Mais c’est là une vaste question.

Ainsi malgré le caractère sec et tranchant de ses paroles, ce texte ne remet pas en cause l'universalité de l'amour de Dieu en faisant de Dieu un Juge qui rejetterait certains pour ne garder à ses côtés que ses rares élus. J'en veux pour preuve ce verset 4 que je vous relis « Demeurez en moi, comme je demeure en vous » :

« Demeurez » est à l’impératif, c’est une injonction, une demande ; alors que « Comme je demeure en vous », c’est une constatation, une affirmation.

Autrement dit : quoiqu’il arrive, indépendamment de nos actions ou du fruit que nous portons (de notre capacité à répondre à cette injonction de demeurer auprès de Dieu) ... Dieu, lui, demeure à nos côtés ! Alors tout à coup ce texte devient plus « acceptable ». Il n'est plus enfermant, mais au contraire ouvre des horizons, un espace de liberté.

Mais pour que notre vie soit véritablement porteuse de fruit, non pas au sens économique du terme, produire toujours plus, manière de vivre qui montre aujourd’hui toutes les impasses dans lesquelles elle nous conduit, mais dans le sens d'une vie riche, notre vie doit rester enracinée, ancrée à ce qui peut la nourrir. Un sarment loin du cep, ne peut recevoir la sève qui seule peut l'amener à porter du fruit !

Et c'est là que ce texte devient extrêmement intéressant et nous rejoint dans des problématiques très actuelles. La foi ne doit plus jamais être vécue comme un carcan, mais comme l'expression d'une liberté ; mais en même temps, la foi ne peut voler complètement de ses propres ailes, elle doit être rattachée à ce qui la nourrit, comme le sarment au cep en étant conscient que tout cep ne produit pas forcément les mêmes fruits ! Ce thème de « demeurer en Christ » est très présent chez Jean ; il me semble plus que jamais aujourd’hui d’une importance première ; comment est-ce que dans ma vie, qui part dans toutes les directions, qui est soumises à tant d’influences, je peux rester fidèlement enraciné en Christ ?

Aujourd'hui en effet, sans faire de la sociologie à bon marché, il est facile de constater que les liens d'appartenance qui étaient si forts dans notre société par le passé sont fragilisés ; que soient les liens familiaux, mais aussi notre rapport à l'Eglise, à l'Etat...

En matière spirituelle par exemple, on peut très bien aujourd'hui vivre une démarche de foi sans se sentir attaché, affilié à une tradition particulière, encore moins en se sentant partie prenante d’une Eglise. Cela est l'indice d'un plus grand brassage d'idées et d'apports en tout genre, ce qui est très positif à bien des égards, mais porte aussi le risque de se perdre, de ne plus savoir qui on est.

C'est aussi vrai dans les relations familiales ; quand les familles sont décomposées et recomposées plusieurs fois, ce n'est pas facile pour un jeune de s'enraciner dans une histoire ... il est pourtant tellement important de savoir d'où l'on vient pour savoir où l'on va !

Mais on peut encore élargir la perspective, aujourd'hui dans nos sociétés occidentales la question de l'identité est devenue un enjeu politique majeur, avec son corollaire d'exclusion et de peur.

Dans ce contexte qui est le nôtre, le texte de Jean 15 nous rappelle avec raison, non pas que l'homme ne peut rien faire, non pas que Dieu est un Dieu cruel qui s'amuse à rejeter, mais que l'humain a besoin d'être rattaché quelque part pour ne pas flotter au-dessus de la réalité, pour éviter d'être ballotté par tous les vents du monde, manipulé, désinformé. C’est ce que disait Saint Paul avec pertinence aux Ephésiens « Ainsi, nous ne serons plus des enfants, ballottés, menés à la dérive à tout vent de doctrine, joués par les hommes et leur astuce à fourvoyer dans l'erreur ».

Nous avons besoin d'être rattachés à quelque chose qui tient, qui nous tient ! Et cela me fait penser à cet épisode de Tintin dans « On a marché sur la lune ». Alors que tous les passagers de la fusée sont appelés par Tintin à se tenir fermement les Dupont/d  se tiennent à eux-seuls .... Plus dure en est la chute ! Face à ce constat, il y a plusieurs écoles. On peut jouer sur la peur et rêver nostalgiquement d'un retour en arrière (famille, église, patrie !) en pensant que tout ira mieux ainsi ; mais cela n'est qu'un leurre, un mensonge, du populisme de bas étage. Cultiver ce lien, ces racines est fondamental, mais pas n'importe comment ; il en va de même en matière spirituelle. Lorsque je souligne l’importance d'être rattaché au cep, je ne suis pas en train, je vous rassure, de vanter la vielle formule catholique « extra ecclesiam nulla salus » autrement dit en dehors du cadre établi de l’Eglise, pas moyen d'accéder à une vie en vérité. Le protestant que je suis serait bien en peine de le faire ! Certes non ! Il ne s'agit pas pour une Institution quelle qu'elle soit de vouloir prétendre avoir je ne sais quel monopole en matière de spiritualité ou d'accès à Dieu. Le Christ seul, est notre cep. Nous avons appris, à travers les partages œcuméniques tout ce que nous pouvons apprendre des autres et des autres manières de penser et de vivre. Nous ne pouvons être qu'enrichis par cette ouverture à l'autre, mais en même temps pour pouvoir prendre le risque de l'ouverture, il faut savoir quel est notre port d'attache, sinon l'autre fait peur et l'on se referme dans une attitude d'exclusion. Quand une communauté sait ce qu'elle croit, elle est capable d'accueillir avec souplesse ceux qui ne peuvent pas formuler leur quête spirituelle dans les mêmes termes. Et il en va de même en ce qui concerne la société ; une société qui sait quelles sont ses valeurs et ses attaches peut faire preuve de souplesse et d’accueil.

J'ai envie de vous relire le verset 13 (qui suit notre passage) : « Nul n'a d'amour plus grand que celui qui se dessaisit de sa vie pour ceux qu'il aime ».

« Se dessaisir », autrement dit oublier qui on est, oublier ce qu'on croit pour aller à la rencontre de l'autre et être enrichi par lui. On peut le faire, on a tout à gagner à la faire, mais pour le faire, il faut se savoir rattaché à une souche ferme !

Aujourd'hui, il ne s'agit plus de prétendre au caractère exclusif de la foi chrétienne, mais de rappeler notre conviction profonde que seul le Christ et sa Parole peuvent véritablement nourrir notre vie et la rendre solide et fructueuse. Ce n'est en effet que si nous restons attachés au Christ, fidèles à sa Parole que notre vie pourra donner toute sa plénitude ! ...même si nous savons au moment même où nous le disons, que jamais nous y parviendrons vraiment !

Bien sûr que l'Esprit du Christ souffle où il veut et comme il veut et personne ne peut le contraindre ou le canaliser. L'Esprit du Christ est par définition plus grand que la compréhension que nous pouvons nous en faire. Il peut donc toucher n'importe qui indépendamment du lien que celui-ci peut avoir avec le Christ. Cela dit, il est important de nous souvenir de tout ce que nous avons à gagner à rester attachés au cep qu'est le Christ, à rester abreuvés à la source qu'est son Esprit.

Mais être attachés au Christ, ce n'est pas être comme un chien qui est attaché à sa niche par la laisse, frustré de ne pas pouvoir vagabonder à sa guise. Jamais, la foi ne réduit notre horizon et notre liberté, c'est tout le contraire ! Nous sommes libres ! Etre attaché au Christ, c'est recevoir l’assurance que partout où nous allons, le Seigneur est avec nous. Etre attaché au Christ, comme le sarment au cep, loin d'être vécu comme une limitation, c'est à comprendre comme une libération. Parce que je suis centré sur l'essentiel, attaché au Christ, nourri à la sève de son Esprit, alors je peux prendre des risques, prendre le risque d'aller à la rencontre de l'autre, prendre le risque de vivre, de me perdre et d'aimer tout simplement.

Amen

Cookies

This website uses cookies. By continuing to browse the site you are agreeing to our use of cookies. Find out more