No Video Files Selected.
10:00| | Prédications | Sandrine Landeau

Qu’est-ce qui vous a amené au culte ce matin ? Peut-être que vous avez l’habitude de venir tous les dimanches et vous ne vous posez plus la question ; ou bien vous aimez venir de temps en temps et retrouver des mots, des chants, des murs familiers et en plus vous aimez la musique de Vincent Thévenaz ; ou alors vous n’aviez rien d’autre à faire et les cultes sont un moment agréable ; vous vous réjouissez de retrouver des visages connus, des personnes que vous appréciez… toutes ces raisons sont valables et pas du tout à négliger, ni à cacher comme honteuses ! Notre pâte humaine est faite de tout cela. Et ces raisons peuvent venir appuyer, étayer, des raisons d’un autre ordre, peut-être plus difficilement saisissables, qui sont d’une manière ou d’une autre présentes quand on prend la peine de sortir de chez soi une dimanche matin, alors que cet acte est, au mieux, considéré par la plupart de nos contemporains comme un peu excentrique signe d’une nostalgie d’un temps révolu, et au pire, comme risible et signe de votre manque de raison. Ces raisons peuvent être que l’Evangile vous touche et vous venez l’écouter, chercher à le comprendre pour votre vie ; vous êtes d’une certaine manière appelée par un Autre ; vous avez besoin de vous remettre devant Dieu dans la prière ; vous aimez Jésus et voulez apprendre à mieux le connaître. Je ne sais pas quelle serait votre réponse, mais se demander, une fois de temps temps, ce que nous venons chercher au culte, est un bon exercice spirituel, qui nous reconnecte à notre désir profond, ou – pour le dire autrement – à ce qui en nous relève d’un Autre, d’un Ailleurs.

Dans notre récit, des grecs venus à Jérusalem pour la Pâque juive s’approchent du groupe de disciples de Jésus et formulent leur désir profond à Philippe avec ces mots : « Nous voulons voir Jésus. » Ce n’est pas un ordre, ce n’est pas une exigence, et d’ailleurs ils s’adressent à Philippe avec déférence, c’est la simple expression de ce qui les a mis en mouvement ce jour-là. Ces grecs qui viennent à Jérusalem pour la Pâque sont ce qu’on appelait alors des craignant-Dieu, des gens qui s’intéressent de très près à la religion juive, qui en étudient les textes dans leur traduction grecque, vont à la synagogue, respectent les grandes fêtes et le shabbat, mais ne sont pas officiellement convertis. La conversion au judaïsme implique la circoncision, le respect des règles alimentaires, qui sont un facteur de mise à part de la société romaine que tout le monde n’est pas prêt à assumer. Mais ces craignant-Dieu ont une vraie recherche de Dieu, et lui font une grande place dans leur vie. Faire un pèlerinage à Jérusalem, ce n’est pas un petit engagement vu la difficulté des voyages à l’époque ! Arrivés à Jérusalem, ils entendent parler de Jésus, ou bien ils ont vu la foule en liesse qui l’accueillait comme un roi ou un messie. Quelle que soit la façon dont ils ont connu l’existence de Jésus, cela les a interpelés fortement.

D’une certaine manière, ces grecs représentent les lecteurs de l’Evangile, ceux de la fin du premier siècle comme nous aujourd’hui : nous aussi nous sommes des étrangers par rapport au monde dans lequel vivait Jésus de Nazareth, nous aussi nous nous confrontons à la barrière de la langue puisque les Evangiles ont été écrits dans une langue qui n’est pas la nôtre, nous aussi nous connaissons d’abord Jésus par ouï-dire, quelqu’un nous en a parlé, nous en a dit quelque chose, ne serait-ce que les témoignages architecturaux et picturaux de l’histoire de l’art dans la région du monde où nous vivons. Et un jour, nous nous sommes sentis appelé.e.s à approcher un peu plus, nous avons cherché à en savoir plus, à « voir Jésus » comme le dit l’Evangile.

Revenons aux grecs de l’Evangile. Entendant parler de Jésus, ils ont compris que quelque chose se manifestait-là qui pouvait rencontrer leur propre recherche et ils cherchent à rencontrer personnellement Jésus. Ils s’adressent donc à Philippe qui, portant un nom grec et venant d’une région où le grec est très répandu, parlait très vraisemblablement leur langue. Ce qu’ils veulent, c’est voir Jésus. Pourquoi voir et pas lui parler, lui poser des questions ? Peut-être parce qu’ils pensent que Jésus ne parle pas leur langue ? C’est possible. En plus de cela, il faut savoir que le verbe « voir » est très important dans l’Evangile de Jean, et notamment dans les récits de la résurrection, dans lesquels voir conduit à la connaissance du Messie de Dieu et à la foi, comme le disciple Jean au tombeau vide dont il est dit : « il vit et il crut. ». En mentionnant que ces gens veulent voir Jésus, l’Evangile de Jean pointe donc une recherche ardente de Dieu qui pourrait bien déboucher sur la foi. Mais il y a quand même une ambiguïté : peut-être veulent-ils voir Jésus pour pouvoir rajouter à leurs récits de voyage « nous avons vu ce rabbin qui soulevait les foules à Jérusalem », comme on raconte en revenant de Paris qu’on a vu la tour Eiffel ? Est-ce que leur ambiguïté – ou la nôtre – est un problème pour approcher Jésus ? Regardons sa réponse.

Philippe et André lui rapportent la requête des étrangers. Et – comme à son habitude – il répond à côté. On lui dit que des grecs veulent le voir, et au lieu de répondre oui ou non, il répond « L’heure est venue où le fils de l’homme sera glorifié. Amen, amen je vous le dis : si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul. Mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit. Qui aime son être le perd, qui hait son être en cet univers le garde pour la vie en pérennité. Si quelqu’un me sert, qu’il me suive ! Là où je suis, là aussi sera mon serviteur. »

Comment le comprendre ? Il faut d’abord noter que Jésus prend très au sérieux cette demande, il y répond longuement et donne du poids à sa réponse, en développant la notion de glorification et en utilisant « amen, amen je vous le dis », une formule qui signale ce qu’il dit comme essentiel. Jésus considère donc que la demande, même ambiguë, exprime une vraie recherche, un vrai désir, peut-être mêlé de curiosité touristique, certes, mais cette vraie recherche est à honorer. La réponse qu’il fait accueille la recherche de ces gens, et la pousse encore un peu plus loin avec cette notion de glorification, en direction d’un voir qui ne passe pas par les yeux mais qui voit au-delà des apparences. C’est ce qu’il fait à chacune de ses rencontres, dans les Evangiles, et dans nos vies aujourd’hui : il nous prend exactement là où nous en sommes, avec nos élans sincères, nos peurs, nos ambiguïtés, et il fait avec nous un pas de plus vers la vie pleine et entière qui nous est promise, qui s’est approchée en Jésus de Nazareth.

Je vous parle de vie pleine et entière qui nous est promise, Jésus lui nous parle de sa glorification, de la mort du grain et de haïr sa vie… Quel est donc le rapport ? Quand Jean parle de la gloire de Jésus, il parle donc de Jésus en tant qu’il manifeste la puissance divine. Dans sa réponse aux grecs, quand il parle de sa glorification, Jésus annonce donc qu’il va bientôt manifester pleinement la puissance de Dieu. Mais quelle puissance ?

La phrase clé ici est « amen, amen, je vous le dis, si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul. Mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit » La fameuse formule « amen, amen » qu’on traduit parfois par « en vérité, en vérité » nous dit que cette image n’est pas juste là pour nous distraire, ou pour illustrer : elle est au contraire le cœur même de cet enseignement de Jésus. En effet, la racine hébraïque de Amen dit quelque chose de fiable, solide, vrai, quelque chose sur lequel on peut s’appuyer, auquel on peut faire confiance. Quand nous disons « amen », nous disons « ceci est fiable, j’ai confiance ». Quand Jésus dit « amen, amen », il dit en substance « ce que je vais vous dire maintenant est essentiel, vous pourrez vous appuyer dessus avec confiance, avec foi ».

Cet essentiel, c’est la très courte parabole du grain tombé en terre nous parle de la glorification – donc la manifestation de la puissance divine – comme d’une mort qui n’est pas la fin de la vie, mais au contraire qui multiplie la vie. Cela semble impossible à nos oreilles humaines, mais le grain tombé en terre nous aide à sentir ce que veut exprimer Jésus.

Le grain tombé en terre nous dit premièrement que la mort de Jésus est une étape nécessaire mais non définitive. Nécessaire, réelle, douloureuse. Dans la plante adulte, il n’y a plus trace du grain, il a disparu. A vues humaines, il est mort. Mais à bien y regarder, le grain qui germe se transforme plus qu’il ne meurt : du grain jaillit une racine vers la terre, une première feuille vers la lumière, à partir des quelques réserves qu’il contenait. Cette première racine, cette première feuille, vont ensuite permettre la croissance. Après ça, le grain disparaît et la plante croît. Mais si le grain reste grain, replié sur lui-même, sans germer, à notre vue il n’est pas mort puisqu’il est toujours visible, et pourtant là est sa vraie mort puisqu’il n’a pas multiplier la vie dont il était porteur ! La parabole du grain tombé en terre nous dit avec force de de ne pas nous arrêter aux apparences : Jésus est mort il y a 2000 ans, nous ne pouvons plus le toucher, le voir ou l’entendre – même si quelques-uns ont la grâce de percevoir plus sensiblement sa présence que d’autres… et pourtant… pourtant il n’est pas mort ! Il vit aujourd’hui pour nous et notre présence ici ce matin en est un témoignage parmi des millions d’autres : aujourd’hui encore, des centaines de millions de personnes vivent de la vie semée en Christ.

La deuxième chose que je voudrais relever ce matin à propos du grain tombé en terre, c’est que les grains que porte la plante issue du grain tombé en terre ne sont ni identiques à ce premier grain, ni identiques entre eux. Ils sont issus de fleurs fécondées. La fécondation mêle à ce qui est issu du grain autre chose, du nouveau, du changement, de l’adaptation. Le grain Jésus semé dans la terre de notre humanité donne naissance à bien des rencontres uniques. La rencontre avec l’aveugle-né n’est pas la même que la rencontre avec Nicodème, celle avec la femme amenée devant lui pour cause d’adultère diffère de celle avec la samaritaine. La rencontre de Jésus avec vous n’est pas la même que sa rencontre avec votre voisin, qui est différente de sa rencontre avec moi. Il dit des choses différentes à chacun, il montre des choses différentes à chacune. Chaque rencontre est un fruit nouveau, différente de toutes les autres, et ce n’est pas un malheur, mais au contraire une manifestation de la puissance de vie qui habite Jésus et de la puissance de création de Dieu.

Mais dans cette pluralité, il y a une part de permanence : une partie du programme génétique du grain tombé en terre se trouve dans les grains fécondés, celle qui dit la disposition et la forme des feuilles, des racines, le mode de reproduction, la capacité d’adaptation, etc. Et une autre partie tout aussi fondamentale : la capacité à porter à son tour la vie. Dans chacune de nos vies, dans chacune de nos églises, il y a des fondamentaux qui nous viennent du Christ à travers les temps et qui seront transmises à travers nous aux générations futures, car celui que nous rencontrons est toujours Jésus le Christ, pas un autre ! Chacun, chacune, le rencontre différemment en fonction de son histoire, de son être, mais il y a des points communs. Brièvement je dirais : une orientation vers Dieu, la conscience d’être créés, dépendants, de nous recevoir d’un autre, la confiance de pouvoir appeler cet autre Abba, Père – ou plus justement Papa, de pouvoir nous appuyer sur son amour et sa justice pour devenir chaque jour un peu plus humains à l’image du Christ, l’espérance de pouvoir devenir chaque jour un peu plus des frères et sœurs les un.e.s pour les autres, l’assurance que la mort n’aura pas le dernier mot sur nos vies, la promesse que pour nous aussi, la mort sera une mort pour la multiplication de la vie.

Nous ne savons pas ce que sont devenus les grecs qui voulaient voir Jésus ce jour-là. Je ne sais pas ce que vous ferez de ce que vous entendez ce matin. Mais chacune, chacune, vous êtes un de ces grains portés par la plante issue de la mort du Christ, sa mort pour la vie. Et chacun, chacune, vous portez cette promesse que les puissances de mort, quelles que soient les formes qu’elles prennent, n’auront pas le dernier mot sur votre vie.

Amen.

Cookies

This website uses cookies. By continuing to browse the site you are agreeing to our use of cookies. Find out more