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10:00| | Prédications | Bruno Gérard

Un homme avait deux fils ...

En continuité de dimanche dernier, déroulons la vie d'Abraham.

 Un homme avait deux fils. Ismaël et Isaac.

Ismaël, le fils conçu avec Agar la servante de Sarah, lorsque le couple n'arrivait pas à avoir d'enfant.

Abraham avait deux fils, mais il en chasse un dans le désert avec sa mère parce que la cohabitation des deux enfants n'est plus possible.

Abraham sacrifie sa relation avec Ismaël qui ira accomplir la bénédiction d'une grande descendance dans le pays de sa mère, l’Égypte.

 Un homme avec deux fils, Ismaël et ... Isaac. Enfant du rire, de la promesse et de la vieillesse qui réjouit le cœur de ses parents.

Avec le départ d'Ismaël, Abraham pensait sûrement avoir fait le plus compliqué, désormais il pouvait se laisser aller à la promesse.

Nous l'avons lu et entendu ... tel n'est pas le cas.

 Une terrible épreuve s'abat sur le patriarche :

Prends ton fils, je te prie, ton fils unique, celui que tu aimes, Isaac ; va-t'en au pays de Moriya et là, offre-le en sacrifice sur l'une des montagnes que je t'indiquerai.

 Nous ne pouvons que supposer la stupéfaction d'Abraham quand il reçoit cette injonction de la part de Dieu.

Un Dieu sans concession qui insiste lourdement sur le prix du sacrifice ... ton fils UNIQUE,

CELUI QUE TU AIMES, ISSAC.

 Quel père peut-il supporter une telle demande ?

La désobéissance peut parfois offrir une option.

Comment Abraham va-t-il réagir à cette demande aussi improbable que terrifiante, porter la main sur son enfant ...

 Avec craintes et tremblements, nous scrutons la réaction d'Abraham qui se lève ... en espérant que comme Jonas, il se lève et parte rapidement de l'autre côté, loin de ce funeste pays de Moriya.

 À notre stupéfaction, Abraham se lève et prépare tranquillement son bois et scelle son âne ... et comme pour une promenade d’agrément, il part avec Isaac et deux serviteurs.

 Devant cette réaction, les avis divergent, une école loue la fidélité et la foi d'Abraham en faisant de son obéissance un paradigme pour les croyant(e)s.

Une autre, dénonce le scandale de son attitude allant même jusqu'à l'accuser de fanatisme religieux ...

 Il faut avouer que ce texte pose problème. Dans Crainte et tremblement, Soreen Kierkegaard décrit son ressenti devant l'attitude d'Abraham :

Quand je me mets à réfléchir sur Abraham, je suis comme anéanti. À chaque instant, mes yeux tombent sur le paradoxe inouï qui est la substance de sa vie ; à chaque instant, je suis rejeté en arrière et malgré son acharnement passionné, ma pensée ne peut pénétrer ce paradoxe de l’épaisseur d’un cheveu. Je tends tous mes muscles pour découvrir une échappée : au même instant, je suis paralysé.

 Effectivement, nous ne pouvons que trembler devant la contradiction entre l'éthique d'un père qui doit protéger et sauver son enfant et la fidélité du croyant qui doit respecter le désir de Dieu.

Apparente opposition entre la volonté d'un père et la volonté de Dieu.

Pour le philosophe, ce qu'il nomme le « saut de la foi » implique qu'Abraham transgresse son amour de père pour suivre l'amour de Dieu.

Ce paradoxe d'Abraham touche et remue ... des grands penseurs ... jusqu'aux jeunes du groupe catéchisme de notre paroisse.

 Sur le chemin de la préparation au baptême et à la confirmation, ce texte reste un incontournable ! Il est toujours bon, de relire ces « best-off » de la Bible au travers du prisme du regard neuf de jeunes personnes.

 Pour agrémenter la séance sur ce texte de Genèse 22, j'ai proposé aux jeunes d'instruire le procès d'Abraham. Bien qu'à grade universitaire équivalent, je porte la même robe que les magistrats, je n'ai certainement pas les compétences juridiques pour que le procès soit véritable, mais cet artifice a permis de faire jaillir des éléments intéressants que je me permets de vous partager, avec l'accord préalable des jeunes.

 Notre groupe s'est réparti en trois :

        une équipe était en charge du témoignage d'Abraham

        la deuxième de la défense du patriarche

        un troisième groupe portait l'accusation

Les jeunes ont endossé leurs rôles avec leur fougue et leur énergie. Il a fallu dans un premier temps qualifier l'accusation d'Abraham ... car effectivement, il n'a finalement rien commis sur son fils. Nous nous sommes entendus sur « tentative de meurtre avec préméditation sur la personne de son fils ».

Ensuite, le groupe qui témoignait à la place d'Abraham a envisagé la situation ainsi : J'ai reçu un message de Dieu qui disait que je devais aller sacrifier mon enfant en haut d'une montagne. Je voulais prouver à Dieu que j'étais fidèle. Au fond c'est Dieu qui m'a donné cet enfant donc il est à lui. Nos jeunes du catéchisme sont pertinent(e)s, n'est-ce pas ?

Ils ont insisté sur ce point dans la défense d'Abraham, Isaac est un don de Dieu et pour prouver sa fidélité à Dieu, il doit rendre le cadeau ... un peu comme si ce fils restait toujours la « propriété de Dieu »

 Un deuxième point a émergé dans la défense d'Abraham ... un point qui n'est pas sans rappeler le raisonnement de Kierkegaard. Le voici : Abraham avait toute confiance en Dieu. Dès sa mise en route vers la montagne, il est persuadé que Dieu ne lui demandera pas en définitive de sacrifier son fils. Sa foi inébranlable lui permet d'accepter de Dieu l'inacceptable tout en étant sûr que cet inacceptable n'arrivera jamais. Vraiment pertinent.

 Dans notre procès fictif, l'accusation a aussi vigoureusement pris part au débat en réagissant sur ce dernier point. Les fanatiques aussi justifient leur geste les plus fous par leur fidélité à Dieu en manquant de discernement. Nous ne pouvons pas nous dégager de nos propres responsabilités sur Dieu. D'ailleurs peut-on utiliser un tel argument dans une cour de justice puisque Dieu n'est pas une personne réelle ... vaste sujet.

Pour nos procurateurs, Abraham est coupable de défaillance dans son devoir de père ... et aussi dans son devoir d'époux. La mère Sarah est complètement restée étrangère à la décision et pour cause. Abraham décide du sort de l'enfant sans concerter la maman.

 L'accusation aussi a fait valoir que Abraham n'avait pas grande connaissance de son Dieu et de son horreur des sacrifices humains.

 Effectivement, le livre du Lévitique condamne fermement cette pratique de livrer des descendants en sacrifice. En vertu de sa grande complicité avec son Seigneur, Abraham devrait savoir que celui-ci se distingue des autres divinités de l'antiquité justement en ne réclamant plus des holocaustes pour satisfaire son divin ego.

 La défense d'Abraham a directement retourné cet argument pour affirmer que c'est justement parce qu'Abraham connaissait cette spécificité de son Dieu qu'il a toujours été persuadé que Dieu ne lui demanderait pas d'aller jusqu'au bout.

 Débats passionnés et intenses qui montrent que l'actualité d'Abraham est toujours forte, même au sein d'un groupe d'adolescents du 21ième siècle.

 Pour conclure les débats de ce bouillonnant cénacle, je me suis permis de proposer une lecture décalée des événements.

Il y a quelques indices qui poussent à croire qu'Abraham reçoit ici un enseignement essentiel dans sa vie de croyant.

Le texte débute par : Abraham est mis à l'épreuve. Dans le texte biblique, la mise à l'épreuve est toujours une occasion d'apprendre et de croître.

 Abraham dans sa grande reconnaissance pour sa vie, pour ses deux fils ... surtout pour cette naissance extraordinaire d'Isaac, l'inattendu, se voit comme débiteur de son Dieu.

Il pense être redevable et imagine qu'il doit rendre (comme les jeunes l'avaient suggéré) ce cadeau. Cela renvoie l'image d'un donateur capricieux qui donne et reprend au gré de ses envies. Abraham pense son Dieu à l'image des dieux antiques qui s'amusent des turpitudes humaines et exigent des sacrifices.

 Pourtant, Abraham va effectivement faire un sacrifice en montant sur la montagne du Pays de Morya. Il va sacrifier cette image perverse de Dieu.

Dans une ultime péripétie, un bélier se manifeste juste au moment du sacrifice. Abraham monte sur la montagne du pays de Moryia avec l'intention de sacrifier un fils, un agneau. En définitive, il sacrifie un bélier ... un père.

Voilà l'enseignement de la mise à l'épreuve d'Abraham ... en renonçant à son image d'un Père exigeant des sacrifices, Abraham peut ainsi redescendre de la montagne, assuré de la bénédiction du Père.

 Même si les nuits sans sommeil de la petite enfance, même si les pérégrinations de l'adolescence, nous amènent à des pensées peu charitables vis à vis de notre progéniture, j'imagine que personne dans cette assemblée, n'a jamais pensé un jour à sacrifier un de ses enfants sur la montagne.

 En revanche, j'ai souvent besoin de refaire le chemin vers la montagne comme Abraham, pour sacrifier mes images perverses, d'un Dieu capricieux qu'il faudrait satisfaire par des œuvres ou des sacrifices. 

 Sacrifier cette image de Dieu

S'en débarrasser.

Pour se nourrir de La bénédiction offerte.

 Amen

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