No Video Files Selected.
10:00| | Prédications | Sandrine Landeau

Vous est-il déjà arrivé d’attendre avec impatience un événement, un voyage, une rencontre ou la réalisation d’un projet qui devait vous apporter le bonheur, l’épanouissement, la paix ? Dans ce type d’attente, on met le meilleur de soi, de ses espérances, de son énergie, se réservant pour ce qui arrivera alors. Nos vies sont pleines de ces attentes, même si elles prennent des formes différentes pour chacune et chacune.

Pour certains, et surtout certaines, l’attente est celle d’une rencontre qui va tout changer dans la vie. Je suis d’une génération de petites filles qui a grandi avec la chanson de Blanche-Neige « un jour, mon prince viendra », ce prince charmant, qui lui permettra de « goûter le bonheur qui nous attend, dans son château heureux » comme le dit la chanson. En attendant cette rencontre, tout est retenu. Mais une fois la rencontre advenue, alors le merveilleux peut – et doit puisqu’on l’a tellement attendu – se vivre. Pour d’autres, ce qu’on attend pour être heureux, c’est la réalisation d’un projet personnel ou professionnel, ou encore une retraite spirituelle qui va enfin nous permettre de nous retrouver et de trouver Dieu, ou bien – plus simplement – les vacances, le repos, les retrouvailles familiales.

Cet événement, ce moment-là, on l’attend, on l’espère de tout son être. Et on l’idéalise, on le magnifie dans nos anticipations rêvées. Et pas seulement les jeunes filles biberonnées à Blanche-Neige qui attendent en rêvant leur prince charmant. On idéalise aussi ce temps de retraite spirituelle pendant lequel on va pouvoir faire silence, lire, prier ardemment, vivre une expérience spirituelle forte. On idéalise ces vacances en famille qui seront faites de longs repas dans la bonne humeur, de visites passionnantes, de jeux endiablés, de repos calme dans la douce chaleur de l’été.

Et puis vient le moment tant attendu : un prince potentiel est là, on se trouve devant la porte du monastère qu’on a choisi, ou on attend dans le jardin de la maison familiale que les enfants, petits-enfants, frères et sœurs arrivent.

Surgissent alors les inévitables imperfections de la réalité, comparée à nos rêves : le château est impossible à chauffer, la commission de protection du patrimoine vous interdit de réaménager selon vos goûts et vos besoins, vous forçant à vivre dans des meubles et aménagements d’il y a deux siècles, sans compter qu’il arrive au prince charmant d’être franchement de mauvaise humeur, de ne pas deviner ce qui vous ferait plaisir, voire d’adorer ces films coréens que vous détestez. Ou bien le monastère est parfait, mais les offices vous ennuient profondément, vous passez votre temps à surfez sur internet et à vous en vouloir, les angoisses remontent, le silence vous terrifie et votre seule envie est de rentrer, vite. Ou encore la maison familiale est enfin pleine… mais pleine de cris et de désaccords sur tout : l’heure des repas, la composition des menus, la répartition des chambres, le programme, la gestion des enfants, tout est prétexte à des disputes sans fin.

Cruelle désillusion ! Nos rêves fracassés sont là, comme Jérusalem en ruine devant les exilés tout juste arrivés de Babylone.

Car c’est de cela que nous parle la fin du livre d’Esaïe : les exilés ont vécu toute leurs vies tendues vers l’espoir d’un retour au pays, un retour qui leur permettra enfin de vivre libres, de pratiquer leur religion de la manière adéquate, dans un lieu dédié, avec un personnel conforme aux exigences, entourés de coreligionnaires avec lesquels faire communauté. Deux générations ont attendu ce retour. Et voici que le grand moment est arrivé : c’est maintenant. Ils peuvent rentrer, enfin ! Ils liquident leurs biens, empaquettent leurs bagages, disent adieu aux amis (on en rencontre même en exil), font la longue route et arrivent enfin à Jérusalem.

Et c’est la déception : la population restée sur place a vécu d’autres choses qu’eux, a changé sa manière de vivre et d’interpréter les commandements religieux, personne ne les attendait et bien peu se réjouissent de les voir revenir, et pour couronner le tout, la ville et le temple sont en ruine. Les exilés se désolent sur le sort de Jérusalem, qui représentent tous leurs rêves déçus.

S’il y a parmi nous des personnes qui vivent ou ont vécu un exil, vous savez comme c’est dur. Pour la majorité d’entre nous qui avons eu la chance de ne pas le vivre, nous pouvons résonner avec l’expérience, tant l’expérience de la déception, de la frustration et de tout ce que cela peut engendrer fait partie de nos vies. Peur, colère, jugements à l’emporte-pièce, condamnation, désespoir. Chacun.e réagit différemment selon la situation et la manière dont elle résonne avec son histoire. Mais c’est toujours douloureux, et d’autant plus douloureux qu’on n’attendait que du bon et du beau.

La parole du prophète ne nie pas l’expérience de la déception et ce qu’elle entraîne. A commencer par la petite voix hostile à l’intérieur de nous – ou la grosse voix tout aussi hostile mais extérieure – qui nous dit : « tu vois, je te l’avais bien dit que ça ne marcherait jamais / qu’il y avait un piège / que c’était trop beau pour être vrai / que tu n’y arriverais jamais / que tu n’étais pas fait pour ça… » je vous laisse prolonger la liste et cocher les cases qui conviennent à vos voix intérieures et extérieures ! Dans le cas des exilés, la voix est extérieure et se moque de ce Dieu qui promet et qui ne fait rien. Dieu s’est-il moqué des exilés qui attendaient tant du retour ? Se moque-t-il du désir profond qui nous fait espérer un compagnon ou une compagne de vie, ou rassembler notre famille dans la paix, ou le rencontrer Lui ?

Non. Car une voix qui surgit du cœur même du rêve brisé et se défend : une voix vient du temple de Jérusalem en ruine. Une voix… c’est à la fois beaucoup et peu. Une voix n’a de pouvoir que celui que veut bien lui donner la personne qui entend. Une voix appelle, elle encourage, elle donne des indications, elle donne à penser, à espérer, mais elle n’a d’impact dans le monde que si vous décidez de lui faire confiance et de la suivre. C’est ainsi qu’agit le Dieu de la Bible : par sa parole, qui agit sur nous, en nous, à la mesure de la confiance que nous lui faisons.

Cette voix d’abord replace les choses en perspectives : oui aujourd’hui c’est difficile, douloureux, mais c’est normal. Par ces mots, le prophète nous indique que prendre le temps de réaliser l’ampleur de notre déception, l’écart entre ce dont nous avions rêvé et la réalité, ce n’est pas du temps perdu dans l’auto-apitoiement, c’est le temps nécessaire pour entendre la voix de l’Eternel.le qui jaillit du présent si décevant pour inviter à changer de regard sur lui. C’est une étape dans un chemin, un processus, et ce n’est pas un état destiné à rester stationnaire. Le prophète utilise pour dire cela l’image de l’accouchement, Dieu étant la sage-femme de cet accouchement en cours. Hommes et femmes nous sommes dans le travail de l’enfantement de nous-mêmes et de notre vie. Cette image donne du sens à nos souffrances, à nos douleurs : elles font partie de la mise au monde d’une vie pleine, entière, « éternelle » comme le dit parfois le texte biblique : un accouchement c’est un effort, qui sollicite intensément les muscles et oui ça fait mal. Savoir que la douleur fait partie de ce processus permet de la traverser autrement : elle n’est ni une fatalité, ni une punition, ni une épreuve. Elle est une étape nécessaire pour que du neuf, du jamais vu, de l’inattendu surgisse du déjà là, du déjà vu, de l’attendu. Et Dieu dans ce processus, comme une sage-femme, assiste, guide, aide, inspire, conseille, soulage la douleur, oriente le processus pour qu’il dure le moins longtemps possible et soit efficace.

Avec cette image de l’accouchement, nous sommes donc invité.es à changer de regard : ce qui semblait un gâchis de possibilités, plein de rancœurs et de déceptions, générant les pleurs et le deuil, peut être vu en fait comme une naissance en cours. Oui ce moment est difficile, mais il n’est pas la fin du chemin. Ce qui est au bout du chemin, c’est la vie nouvelle, la naissance qui réjouit. C’est une promesse, et c’est aussi une exigence : une promesse de vie à venir, qui soutient l’espérance et l’action, et une exigence à poursuivre l’effort du chemin, peut-être en le réorientant, mais surtout à ne pas s’arrêter. Une fois le travail de l’accouchement commencé, il doit aller jusqu’au bout, sinon la mort guette la femme ou l’enfant qu’elle porte, voire les deux.

Le prophète change ensuite d’image, en restant dans le registre de la naissance : « Vous serez portés sur les bras, et caressés sur les genoux. Comme un enfant que sa mère console, ainsi je vous consolerai. Vous serez consolés dans Jérusalem. » Cette fois, Dieu n’est plus sage-femme, mais mère qui allaite, console, câline son tout-petit.  L’image de l’allaitement est parlante : dans l’allaitement à la demande du nouveau-né puis du bambin, la quantité et la qualité du lait produit par la mère dépendent de la manière de téter de l’enfant. L’allaitement est une relation : dans cette relation, la nourriture s’adapte aux besoins de l’enfant et aux possibilités de la mère. Dire que Dieu est une mère qui allaite, c’est dire que nous pouvons recevoir, dans notre relation avec lui, la nourriture dont nous avons besoin, en quantité et en qualité, au moment où nous en avons besoin.

Et dans l’image d’Esaïe les exilés allaités feront de Jérusalem une ville allaitante. La présence de Dieu au milieu des décombres des rêves des exilés, d’un Dieu prêt à offrir réconfort, nourriture spirituelle, énergie, courage, élan, donnera la force à ceux qui sont désespérés de rebâtir la ville, et d’en faire un lieu d’où pourront rayonner la foi, l’espérance et l’amour. Parce que faire confiance à Dieu, c’est bien sûr recevoir de lui de quoi traverser les épreuves, et c’est aussi devenir à son tour ressource, soutien pour d’autres, pour qu’ils et elles reçoivent aussi de nous, à travers nous, de quoi traverser leurs épreuves. Et cette promesse n’a pas de frontière : elle n’est pas réservée au peuple d’Israël, aux habitants de la terre ou aux exilés de retour de Babylone, elle concerne tout le monde puisque la voix annonce qu’elle appellera des personnes d’au-dehors d’Israël pour devenir des sources de consolation et d’espérance.

Les derniers mots du livre d’Esaïe ne sont pourtant pas pour les exilés, mais pour leurs ennemis : ils seront laissés hors de Jérusalem, en proie à la mort. N’est-ce pas un peu glauque pour terminer un livre ? Peut-être… mais c’est aussi une promesse : ce qui aujourd’hui vous mine, ceux qui cherchent à vous briser, rien de tout cela n’aura le dernier mot sur vous ! Dieu, qui est le Dieu est vivant, celui des enfantements, écartera les forces de mort de vous au moment de l’épreuve, comme la sage-femme préserve l’espace intime nécessaire à la femme en couche, pour que vous puissiez célébrer la naissance de votre vie nouvelle.

Alors si cet été, après avoir longuement attendu une rencontre, une retraite, ou des retrouvailles, vous connaissez la déception, rappelez-vous que cette déception n’est pas la fin. La fin, c’est la vie renouvelée promise : cette déception réelle est une étape sur le chemin. Pas la plus agréable c’est sûr, mais une étape. Qu’allez-vous faire ? Entendrez-vous cette voix qui vous parle, là même où vous avez le plus mal, là même où vous êtes le plus déçu, et qui vous invite à respirer, à reprendre souffle, à vous déposer en elle dans la confiance, comme une femme fait confiance à la voix de la sage-femme qui la guide, pour que la vie passe à travers vous et que vous puissiez vivre, et devenir à votre tour passeurs et passeuses de vie ? Cette voix sera là, faites-lui confiance, écoutez-là !

Amen

Cookies

This website uses cookies. By continuing to browse the site you are agreeing to our use of cookies. Find out more