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10:00| | Prédications | Emmanuel Rolland et Sandrine Landeau

Es-tu Celui qui doit
venir ou devons-nous en attendre un autre ?

« Es-tu Celui qui doit venir ou devons-nous en attendre un autre ? »

Esaïe 35, 1-10 / Jacques 5, 7-10 et Mathieu 11, 2-6

 

Qu’est-ce qui distingue Jean-Baptiste de Greta Thunberg ?Jean-Baptiste se nourrissait de sauterelles et de miel sauvage, les sauterelles n’existant pas en Suède, Greta Thunberg se nourrit de miel domestique et de céréales luthériennes. Jean vivait à l’écart de la ville et de ses corruptions ; Greta dénonce les excès et s’emploie à limiter l’impact de sa consommation. Jean- disait : « on va droit dans le mur et on va se le prendre de face si on ne change pas de vie » C’est à la virgule près ce que Greta dit elle aussi. L’un et l’autre s’adressent à des foules immenses qui viennent leur poser la même question : « Que devons-nous faire ?» et les deux répondent d’une même voix à 2000 ans de distance : Plutôt que de multiplier tes biens, apprend à les diviser. La différence entre eux, c’est que Greta Thunberg fait cette semaine la Une du Time qui l’a élue « personn of the year ».

On la voit, dans un superbe portrait en pied, sweat à capuche sur le dos, regardant fièrement l’horizon une vague s’échouant à ses pieds et son portrait est titré : « Le pouvoir de la jeunesse ». Bien trouvé ! Cela me fait penser que quand Jésus a été crucifié, il avait 20 ans de moins que moi aujourd’hui. Quant à Jean-Baptiste, il devait lui aussi avoir la petite trentaine quand Hérode l’a exécuté. Est-ce que nous réalisons, quand nous ouvrons les évangiles et les prophètes, que nous lisons des paroles de jeunes gens qui ont l’âge de nos enfants ou de nos petits-enfants aujourd’hui ? Dont les visages ne sont guère différents de ceux de tous les garçons et les filles de leur âge qui défilent dans les rues deux par deux pour appeler à un changement de civilisation ?

Donc, la première grande différence entre Greta et Jean, c’est que Greta fait la Une du Time, quand Jean, lui, croupit dans la prison d’Hérode. Parenthèse : Je ne doute pas que si Greta vivait au temps d’Hérode et Jean-Baptiste au temps de Donald Trump, c’est Jean-Baptiste qui ferait aujourd’hui la Une du Time quand Greta subirait des sévices qu’on n’ose même pas nommer ici dans les geôles d’Hérode. Mais les temps changent, du moins, précisons-le bien, sous nos latitudes. Greta, agace les puissants, bien autant que Jean-Baptiste en son temps, mais aujourd’hui, des personnalités comme elles sont devenues des intouchables. Donald Trump lui-même ne se permet rien de plus qu’une petite taquinerie ; il lui suggère de se « relaxer » « Relax Greta », ça donne en américain. « Détends-toi et va voir un bon film» lui tweete-t-il, paternel. Seul Donald peut se permettre aujourd’hui une telle insolence ; les autres chefs d’Etat savent bien que le moindre écart de langage, la plus petite critique adressée à la nouvelle égérie suédoise leur vaudrait immédiatement un lynchage médiatique planétaire. On ne s’attaque plus à des icônes !

Donc, contrairement à Greta, Jean-Baptiste, vit dans un monde où on « tue les prophètes et où on lapide les apôtres », surtout quand ils dénoncent les turpitudes sexuelles des puissants, en l’occurrence : qu’Hérode couche avec sa belle-sœur. Il est clair que si Jean-Baptiste vivait dans notre monde, Hérode se serait retrouvé condamné à des excuses publiques devant les caméras du monde entier avant de devoir démissionner de tous ses mandats. Mais Jean-Baptiste vit dans le monde d’avant. Avant Greta, avant Metoo ; un monde d’une très violente injustice, profondément hostile aux femmes et sans pitié à l’égard des protestataires.

Ne pensons pas un instant que le monde de Jean soit le monde d’hier et le monde de Greta le monde d’aujourd’hui. Ces deux mondes coexistent toujours à travers l’espace et le temps, l’un menaçant sans cesse d’étouffer, d’écraser l’autre ; le monde de Jean est une hydre, qui renaît sans cesse de ses cendres et menace toujours d’étouffer de ses tentacules le monde de Greta.

Il y a une autre différence entre Greta et Jean. C’est que Greta est la fille d’une chanteuse d’opéra et d’un acteur de théâtre qui ont passé leur vie sur les planches plutôt qu’à l’église. Jean Baptiste, lui, est, on dirait aujourd’hui, fils de pasteur. Son papa était pasteur et sa maman aussi ; tous deux, « justes et pieux» selon Saint Luc, servaient dans le temple de Jérusalem et Jean-Baptiste a grandi dans leur robe pastorale ; on imagine qu’il a eu une éducation religieuse très poussée ce que Greta n’a pas eu. Après quelques siècles de luthéranisme étouffant, la Suède respire Dieu merci et on va davantage dans les théâtres et les cinémas le samedi soir qu’à l’église le dimanche matin. Greta vit donc dans un monde sans Dieu, ce qui explique qu’elle attend beaucoup de nous et pas grand-chose de Dieu, et c’est bien évidemment ce qui la distingue de Jean-Baptiste qui, dans le lignage des prophètes bibliques ne se fait pas beaucoup d’illusions sur nous mais attend beaucoup de Dieu.

Il ne fait aucun doute que Jean-Baptiste a été le père spirituel de Jésus ; que Jésus, faisons un pas de plus, a été le fils bien aimé que Jean-Baptiste n’a jamais eu. Il ne fait aucun doute que tous les espoirs de Jean-Baptiste reposaient sur les épaules du surdoué de Nazareth, ce qui nous montre bien qu’avant de porter sa croix sur le chemin du Golgotha, Jésus a dû porter les attentes d’un nombre incalculable de gens, à commencer par ses plus proches : Jean-Baptiste, son maître, puis ses disciples qui ont toujours vu le formidable potentiel tapie en lui, les uns et les autres attendant qu’elle se déploie, qu’elle n’ait plus de limite pour écraser le monde d’Hérode et le réduire à néant ; mais…mais, rien ne se passe comme prévu, attendu. Jésus est libre quand Jean, croupit dans la prison d’Hérode, ne pouvant rien ignorer du sort qui lui est réservé. Et dans le couloir de la mort, il attend, et en attendant, lance un ultime S.O.S.

 

Par la poignée de disciples qui lui sont demeurés fidèles, il envoie un message crépusculaire à Jésus : « Es-tu celui qui doit venir ou devons-nous en attendre un autre ? » La réponse est comme toujours contenue dans la question : « Si tu ne fais rien pour me sortir de là, alors tu n’es pas le messie et nous devons donc en attendre un autre."

Sur le feuillet que vous tenez entre les mains, vous pouvez observer l’une des plus étonnantes représentations de Jean-Baptiste, par le peintre le plus mystérieux de l’histoire de la peinture occidentale puisqu’on ne sait strictement rien de la biographie de Jérôme Bosch - si ce n’est ce que ses œuvres nous apprennent de lui, à savoir qu’il devait être très fin théologien.

Ici, il représente un Jean-Baptiste couché au milieu d’un paysage lunaire, rongé parla vermine, donc un paysage splendide mais menacé de ruine, et Jean-Baptiste, géant à terre, semble jouer plutôt qu’il ne le désigne, avec l’agneau – l’agneau de Dieu bien sûr/Jésus, celui qui ôte le péché du monde. Mais l’agneau est minuscule, comme égaré, impuissant dans cet univers marqué par la finitude et par la mort. On a l’impression que Jean se demande : « Qui c’est celui-là ? Est-ce lui ? Est-ce lui cette icréature insignifiante, « celui qui doit venir » ? Est-ce lui, ce minuscule, « l’iskuteros », le plus fort que moi, « celui dont je ne suis pas digne de délier la lanière des sandales ? », « celui qui vient avec sa pelle à vanner à la main ? »

A la question poignante de son maître, Jésus répond d’une sèchement :  Quand vous lisez le grec, vous lisez ce qui est traduit sur votre feuillet, c’est à dire en style télégraphique : « Aveugles voient stop. Boiteux marchent stop.  Lépreux guéris stop. Sourds entendent. Stop. Morts se relèvent. Stop. Pauvres évangélisés. Stop » Ce télégramme est un message crypté, assez simple à déchiffrer pour quelqu’un qui a la culture biblique d’un Jean-Baptiste. Ce sont ni plus ni moins que des collections de sentences que l’on trouve éparses dans le livre d’Esaïe et que Jésus rassemble ici, en les mettant au présent quand Esaïe les a toujours écrites au futur. Alors ne soyons pas ridicules, ne faisons pas à ces géants de la pensée de mauvais procès et n’imaginons pas l’inimaginable, à savoir qu’Esaïe et Jésus parleraient ici de pathologies physiques qu’un art médical permettrait de guérir, faisant de Jésus un ophtalmo surdoué, un prothésiste exceptionnel, un ORL de génie, comme si le salut du monde passait par la santé physique d’hommes et de femmes guéris de leur handicap. Comme si le salut du monde passait par le corps parfait ; ce qui signifierait - vous vous rendez compte de l’énormité ! - que les aveugles, les sourds, les handicapés seraient les symboles d’un monde déchu ! Quand bien même tous ceux qui les fréquentent savent bien que c’est chez eux que nous trouvons les plus beaux exemples de santé spirituelle et mentale.

Bref, nous le savons bien, être aveugle, sourd, boiter, mourir ne désignent pas des réalités physiques mais des réalités spirituelles et Jésus dit que quelque chose de nouveau a commencé ; ça a bougé. Autour de lui, à côté de lui, des aveugles retrouvent la vue, des sourds entendent, des boiteux marchent droit et des morts se réveillent. Autrement dit, au sein de ce monde qui lapide encore les prophètes et qui crucifie le Fils de Dieu, une puissance est à l’œuvre, visible, audible. Elle se laisse percevoir. Jésus renvoie les disciples de Jean par ces mots : « Allez dire à Jean ce que vous voyez et ce que vous entendez ! » On n’est pas ici dans la théorie ; on est dans l’expérience. Dans l’observable, dans le constatable.

Aussi, en ce 3ème dimanche de l’Avent, j’aimerais comme Donald adresser un petit message personnel à Greta. J’aimerais lui tweeter : « Relax Greta ; Jésus vient. » Dieu n’abandonne pas sa création ; nous ne sommes pas seuls à en prendre soin. Une force est à l’œuvre qui ne sollicite ni la peur ni la culpabilité mais la foi et la joie. Et quel malheur ; combien malheureux sommes-nous si nous en doutons, quand la plus belle partie de l’histoire de notre monde est en effet, en acte une histoire d’aveugles qui retrouvent la vue, de sourds dont les oreilles se sont enfin débouchées, de fous guéris de leur folie, de lépreux devenus fréquentables et de morts qui naissent à la vie.

Jean-Baptiste va mourir dans quelques jours et Jésus dans quelques mois, mais qu’est-ce que ça veut dire mourir, quand il ne se passe pas un jour sans que quelque part, dans le monde, leur parole ouvre les yeux et les oreilles, guérisse la lèpre du cœur et ressuscite les morts ?

Je termine par cette phrase si singulière du Christ : « Le plus petit dans le royaume des cieux est plus grand que Jean » ce qui est incompréhensible si on ne finit pas par comprendre que le plus grand désormais n’est plus celui qui convertit, c’est celui qui se convertit. Plus grand que le prophète, celui qui se laisse prophétiser. Plus grand que celui qui voit, celui dont les yeux s’ouvrent enfin. Plus grand que celui qui a toujours bien entendu, celui dont les oreilles se débouchent enfin. Plus grand que celui qui a toujours vécu en bonne santé spirituelle, mentale et physique, celui qui y advient par la grâce miséricordieuse d’un Dieu qui n’a jamais abandonné sa crétation à elle-même, aujourd’hui moins que jamais.

 

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