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10:00| | Prédications | Sandrine Landeau

culte du 29 janvier 2023

Prédication

Ici et maintenant, être chrétien.ne n’est plus à la mode. Faire partie d’une communauté chrétienne l’est encore moins : passe encore de vouloir suivre le Christ et de vouloir mieux connaître le Dieu qu’il est venu manifester, mais le faire dans une de ces vieilles choses poussiéreuses et dangereuses que sont les institutions chrétiennes, c’est vraiment une preuve de bêtise, voire de folie, et de faiblesse ! Quant à venir écouter un.e pasteur.e blablater le dimanche matin, avec quelques intermèdes d’orgue, ça n’a vraiment aucun sens aux yeux de l’immense majorité de nos contemporain.es.

En quelques décennies, l’emprise sociale des institutions chrétiennes s’est drastiquement réduite, les assemblées sont toujours plus maigres, et l’analphabétisme biblique a largement augmenté. Pour nous qui sommes encore, de près ou de loin, participant.es de ces institutions, pour nous qui nous sentons attiré.es par le Dieu qu’est venu manifester Jésus, la situation est au mieux inconfortable – on passe auprès de ses proches et de ses ami.es pour passablement illuminé, prêt à croire n’importe quelle fadaise, faible et déraisonnable puisqu’incapable d’assumer qu’il n’y a rien après la mort et que nous sommes seul.es au monde – et au pire très angoissant – parce que, qu’on se l’avoue ou non, voir les bancs s’éclaircir nous fait douter un peu du bien fondé de notre présence ici et parce qu’on a peur que cet Evangile, auquel nous tenons, ne disparaisse en même temps que les églises ferment.

Cela suscite du découragement – qui a envie d’investir du temps, de l’énergie, des compétences, de l’argent, dans une cause qui semble perdue ? –, de la désespérance – Dieu est-il vraiment attentif à ce qui se passe ? –, de la fébrilité et de la confusion – on se disperse dans une débauche d’activités, de contacts, de canaux de communications, de messages, comme on jette une brassée de bouteille à la mer – mais aussi de la violence, de la radicalisation et de la division interne à la communauté – on cherche à l’interne un.e ou des responsables à cette situation et on le ou les invective largement, tant on est certain d’avoir raison et de détenir la solution qui fera revenir des gens au culte pour qu’on s’y sente moins seul.es. Les coupables peuvent être les pasteurs, qui ne prêchent pas comme il faut, qui ne savent pas parler aux jeunes, qui n’ont pas assez de charisme pour entraîner les foules ; ou bien les fidèles qui ne savent pas parler de leur foi autour d’eux, qui n’envoient plus leurs enfants ou petits-enfants au kt, qui n’ont plus la concentration nécessaire pour écouter leurs pasteur.es ; ou encore les bénévoles qui ne soutiennent pas assez les pasteurs, les institutions qui font de toute façon n’importe quoi, la paroisse d’à côté qui ne tient aucun compte de nos activités !

 

À Corinthe dans les années 50, être chrétien.ne n’était pas tellement plus à la mode. La toute jeune communauté de Corinthe, à laquelle s’adresse Paul, se trouve dans la même situation de minorité que nous, sans avoir connu de situation antérieure majoritaire. Corinthe est l’une des plus grandes villes de Grèce, melting pot spirituel, dans lequel le christianisme fait figure d’ovni depuis son arrivée dans les valises de Paul 5 ou 6 ans plus tôt. L’angoisse de disparaître est bien présente, tout comme l’inconfort d’être trop différents de la majorité. Ces émotions similaires à celles qui nous traversent produisent des effets similaires : la communauté se déchire entre les partisans de tel ou tel pasteur – à l’époque on dit apôtre –, de telle ou telle manière d’annoncer la Parole et d’en vivre, de tel ou tel projet. On s’invective et on s’insulte. Paul, alerté sur ces dissensions, écrit à la communauté avec un double objectif : rappeler ce qui fonde l’unité de la communauté et renouveler son espérance, pour que la petite communauté puisse vivre quelque chose de l’Evangile.

Il commence par souligner que ces émotions désagréables sont tout à fait normales dans la situation : « nous prêchons le Christ crucifié : c’est un message scandaleux pour les juifs et une folie pour les non-juifs ». J’ajoute : c’est un message absurde pour les rationalistes, étriqué et engoncé dans des notions devenues inaccessibles pour les chercheurs spirituels, qui répond à des questions que personne ne se pose pour les indifférents. Se trouver porteur, porteuse de ce message que peu de personnes ont envie d’entendre est inconfortable, c’est vrai.

Pas plus aujourd’hui qu’à l’époque de Paul l’Evangile n’est facile et confortable à annoncer, à partager ! Et le point de cristallisation des difficultés se situe, comme Paul l’a évidemment compris, à la croix. La croix a tout l’air d’un échec, au minimum de Jésus, et sans doute de son Dieu : le message de Jésus, tout séduisant qu’il soit, ne peut pas être vrai puisqu’il est mort de la manière la plus infamante de mourir à l’époque, sans que son Dieu ne lève le petit doigt pour empêcher l’injustice et la souffrance de cette mort et sans qu’il punisse ceux qui avaient contribué à cette fin humiliante et douloureuse. En toute bonne logique, soit son Dieu est impuissant, soit il est ingrat. Et ni l’une ni l’autre de ces deux hypothèses ne répond aux attentes que nous pouvons avoir concernant un être divin unique : rétablir la justice et l’équilibre entre les bons et les méchants, là où les mécanismes des sociétés humaines semblent récompenser toujours plus celles et ceux qui sont capables de tromper les autres, de les écraser, de se fermer à la souffrance. La liberté laissée à l’humain par ce Dieu-là semble tout simplement irresponsable.

Alors, faut-il renoncer à Dieu et à l’Evangile ou à nos raisonnements logiques et à nos attentes ? Paul répond : ni l’un ni l’autre !

Oui c’est vrai nous portons un message difficile en apparence. Un message dont nous croyons pourtant qu’il est Bonne Nouvelle, une vraie Bonne nouvelle, aujourd’hui comme hier, pour Paul et les Corinthiens comme pour nous et pour bien d’autres. La Bonne nouvelle est dans ce choix de Jésus qui préfère mourir, et mourir de manière injuste et indigne, que de faire œuvre de toute-puissance et de colère. La Bonne nouvelle est dans la puissance de transformation de cet amour offert. La Bonne Nouvelle est dans ce Dieu dont la réponse à la mort de Jésus n’est pas la vengeance mais la résurrection. Cette Bonne nouvelle est trop précieuse pour être abandonnée.

Elle doit être transmise et reçue. Paul l’appelle dans notre passage la Parole de la Croix. Cette expression forgée pour l’occasion souligne que la croix n’est pas efficace en elle-même : elle est un message dont il faut retrouver le sens.

Et pour retrouver son sens, il ne faut renoncer ni à nos raisonnements, ni à nos attentes. Pour le dire avec les mots de Paul, il ne faut renoncer ni à notre sagesse, ni à notre besoin de signe. Toute la Bible appelle à la raison, à l’intelligence, à l’interprétation, à la recherche sans cesse recommencée d’une vérité et d’une vie plus juste, d’un amour plus grand. Toute la Bible nous offre des signes, des histoires, qui pointent vers Dieu. La sagesse à laquelle il faut renoncer, c’est la sagesse qui croit tout savoir, qui croit pouvoir s’imposer à tout et à chaque être, la sagesse qui sait mieux que l’autre, à la place de l’autre – même quand cet autre est Dieu. Les signes et les histoires auxquels il faut renoncer, ce sont ceux qu’on sélectionne parce qu’ils répondent à notre attente exprimée, ceux qu’on absolutise à l’exclusion de tous les autres.

La sagesse et les signes ne sont nocifs que dans la mesure où ils deviennent des idoles qui nous empêchent d’entendre Dieu, dans la mesure où ils nous poussent à exclure la possibilité de l’amour de Dieu pour notre monde tel qu’il est et/ou la puissance réelle de cet amour, dans la mesure où ils font de nos doutes des certitudes.

Paul n’appelle pas à remplacer la sagesse par la stupidité, ni les signes par la naïveté, mais l’une et l’autre par la foi. Remplacer les signes par la foi, c’est remplacer la quête inquiète d’un amour à gagner par la confiance en un amour déjà donné. Remplacer la sagesse par la foi, c’est remplacer la confiance en soi pour traverser toutes les situations qui se présenteront par la confiance en Dieu qui sera présent quoi qu’il arrive.

Selon nos raisonnements déifiés, notre sagesse déifiée, la croix est une folie. Selon nos attentes déifiées, notre besoin de signes, la croix ne peut révéler que de la faiblesse et de l’impuissance. Et pourtant… quand l’appel de Dieu replace nos raisonnements et nos attentes à leur juste place, la croix est l’annonce d’une tendresse sans fin, d’un amour inconditionnel, d’une puissance de vie qui renverse même la mort et la tentation du néant.

Cet appel, martèle Paul, est le fondement et l’espérance de chaque membre de l’Église de Corinthe, et il est le fondement et l’espérance de l’Église.

Et cet appel ne doit rien à ce que nous sommes. Ce n’est pas parce que nous sommes dignes d’amour que Dieu nous aime. C’est parce que Dieu nous aime que nous sommes dignes d’amour. Pour le dire autrement : l’amour n’est pas une conséquence, l’amour est une cause.

Ce n’est pas parce que je suis une bonne oratrice depuis toujours que je me trouve là devant vous et que j’ai été choisie pour annoncer une Bonne nouvelle et que Dieu va m’aimer… certains profs m’appelaient la muette, et il m’est arrivé de quitter la classe et de risquer une heure de colle plutôt que de faire un exposé… Mais c’est parce que Dieu m’aime et que je fais confiance à cet amour que cela libère en moi une capacité que je ne savais pas avoir, celle de parler en public.

Ce n’est pas parce que les Corinthiens étaient parfaits que Dieu les a appelés, mais parce qu’ils les a appelés qu’ils pouvaient devenir chaque jour un peu plus les humains qu’il espérait. Ce n’est pas parce que vous êtes meilleurs que d’autres que vous avez été appelées, ce n’est pas parce que vous parlez mieux de Dieu aux gens que vous croisez que Dieu va vous aimer. C’est parce qu’il vous aime et que vous faites au moins un peu confiance à cet amour que vous avez répondu présent à son appel et que cela libère et libérera en vous des ressources que vous ignoriez avoir : la force et l’endurance pour l’engagement dans un service, en Église ou ailleurs, la capacité de donner un coup de main à votre voisine acariâtre mais tellement seule, cette tendresse qui vous habite et qui ferait tellement de bien à cette famille isolée, etc.

Oui, c’est l’appel de Dieu qui est premier, un appel absolument surprenant car il est immérité. Nous ne sommes pas et nous ne serons jamais à la hauteur de cet amour. Ni individuellement ni collectivement. Et pourtant !

Toute la confiance et l’espérance chrétienne sont là, dans ce « et pourtant », qui garde ouvert l’à-venir et ne cesse de nous surprendre : l’amour et la grâce de Dieu sont étonnants, stupéfiants, comme le dit ce cantique bien connu « amazing grace ». Cette surprise comprend une dimension déroutante, presque vertigineuse : oui Dieu, nous a choisi.es. Il vous a choisi.e, vous personnellement : il a choisi de vous aimer, et il vous aimera chaque jour de votre vie, où que vos pas, vos peurs et vos élans vous mènent. Et ce qui est vrai pour chacun.e individuellement est vrai aussi pour les communautés humaines.

Que cet appel, et non nos sagesses ni nos attentes déifiées, que cet appel et cette grâce étonnante affermissent nos pas dans nos tempêtes, individuelles et communautaires, et guident nos choix individuels et communautaires. Parce que

La folie de Dieu est plus sage que la sagesse des humains,

la faiblesse de Dieu est plus forte que la force des humains

et qu’elle nous offre la vie en abondance.

Amen

 

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