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10:00| | Prédications | Sandrine Landeau

culte du 28 février
2021

Imaginez que je cherche à savoir qui vous êtes. Je pourrais vous le demander, et écouter votre réponse. Je pourrais aussi me faire une idée en vous regardant. Ou bien en cherchant à connaître votre histoire, vos relations familiales et amicales, ce que d’autres disent de vous. Est-ce qu’en croisant tout cela j’aurais saisi votre essence, le cœur de votre identité ? Et qu’est-ce que je peux connaître de vous ?

A cette question, l’Evangile répond : vous n’êtes pas défini.e par vos caractéristiques physiques, sociales, professionnelles, vous n’êtes pas défini.e par votre histoire, ni par vos actes ou vos pensées, ni par ce que d’autres disent ou pensent de vous. Ce qui vous définit, c’est d’être enfant de Dieu, à la suite du Christ. C’est une identité nouvelle, qui vient non pas effacer mais parfaire, unifier toutes les autres, qui sont fragmentaires et empêcher que ces fragments ne deviennent des cages. Car c’est une identité qui vous délivre aussi de toutes les autres. Et ce que je peux connaître de vous, c’est précisément cela, que vous êtes – comme je le suis – enfant de Dieu, et que je ne peux donc pas prétendre vous ranger dans une case – et encore moins vous forcer à y rester – parce que ce vous êtes dépasse ce que je peux en saisir.

C’est ce que nous dit à sa façon ce récit fantastique de la transfiguration. A partir de la question de l’identité de Jésus, il nous invite à réfléchir à l’identité de Dieu.e, à celle de chaque être humain, et propose une identité qui libère au lieu d’enfermer.

Le premier enjeu de la transfiguration est bien de savoir qui est le Christ : un rabbin, un fou, un homme comme les autres, le Messie ? Quelques versets plus haut, Marc a mis en scène la première annonce de la Passion. Cette annonce bouscule les représentations que les disciples et les autres se sont faites de Jésus. Jusque-là, Jésus avait enseigné et guéri avec autorité. Certains commençaient à croire qu’il pouvait être ce Messie tant attendu, celui qui allait rendre la prospérité au peuple d’Israël. Et voilà que Jésus leur annonce qu’il « va beaucoup souffrir, qu’il sera rejeté par les anciens, les grands-prêtres et les scribes, qu’il sera tué et que trois jours après il ressuscitera. » Autrement dit, soyons clair.e.s, il annonce son échec auprès des humains. Exit l’image d’un Dieu tout-puissant et de son Messie triomphant qui vont rendre au peuple d’Israël sa gloire passée. L’annonce de la résurrection n’y fait pas grand-chose : qui peut croire à la résurrection des morts ? Est-ce que Jésus n’est pas tout simplement en train de perdre la tête ? Avec l’annonce de la passion donc, l’identité de Jésus comme Messie se trouve sérieusement remise en question.

Le récit de la transfiguration a pour fonction de redire avec force que oui, ce Jésus qui annonce son propre échec selon les critères humains est bien le Messie, et même le Fils de Dieu.e. Il le dit en utilisant plusieurs images et symboles. Premier symbole : les vêtements blancs et rayonnants, qui disent le contact intime avec Dieu, comme Moïse qui rayonne après son long entretien avec YHWH sur la montagne. Deuxième symbole de cette identité de Fils de Dieu : la venue de Moïse et d’Elie. Moïse et Elie ont tous deux passé du temps à s’entretenir avec Dieu.e sur l’Horeb, nous l’avons réentendu, et maintenant ils viennent s’entretenir avec Jésus sur la montagne. Une manière de dire que Jésus et Dieu.e sont Un comme dirait le Jésus johannique. Troisième symbole, plus explicite encore : la voix qui dit les choses sans détours « Celui-ci est mon Fils bien-aimé ». Oui, Jésus est bien le Messie envoyé par Dieu, et même, il est son Fils bien-aimé.

Mais la transfiguration nous invite plus loin. La nouvelle venue de Moïse et d’Elie symbolise encore autre chose, dans les différences qu’il y a entre cet entretien avec Jésus et ceux qu’ils avaient eu autrefois avec Dieu. D’abord, Moïse sur le Sinaï voit Dieu dans la nuée, Elie à l’Horeb se voile le visage pour sortir à la rencontre de Dieu. Ici ils ont le visage découvert et Jésus aussi. En Jésus, Dieu se manifeste accessible sans aucun danger, sans aucune précaution, ni préparation, au milieu de nous, avec nous, comme nous. Ça paraît incroyable, et même fou ! Deuxième différence : après leurs rencontres avec Dieu, Moïse comme Elie redescendent vers le peuple avec un message de la part de Dieu : Moïse rapporte la Loi, Elie une parole prophétique. Après leur rencontre avec Jésus, ils disparaissent et c’est Jésus lui-même qui redescend de la montagne vers le peuple pour apporter une Parole qui dit ce qu’elle fait et qui fait ce qu’elle dit. En Jésus, Dieu décide de se passer d’intermédiaire pour s’adresser à l’humanité tout entière.

Vous le voyez, en même temps que la transfiguration travaille la question de l’identité de Jésus, elle travaille l’identité de Dieu lui-même. Première question : qui est ce Dieu que Jésus est venu manifester ? En investissant Jésus de son identité de Fils de Dieu, alors même qu’il vient d’annoncer sa souffrance, sa mise à mort et sa résurrection, Dieu se manifeste comme Celui qui est du côté des souffrants, celui qui accompagne l’être humain dans toutes les dimensions de son expérience, celui qui ouvre des voies nouvelles, inouïes, inattendues – et non pas le Dieu qui juge, qui punit ou qui se venge. Deuxième question : ce Dieu-là est-il le même que le Dieu d’Israël ? La montagne, la nuée, les cieux ouverts, la lumière, la voix sont des éléments classiques des manifestations du Dieu biblique. Avez-vous remarqué comme ils sont présents dans tout ou partie des trois récits que nous avons entendus ? La venue de Moïse et Elie confirme elle aussi que le Dieu.e manifesté en Jésus est bien le même Dieu.e qui s’est manifesté à eux.

La transfiguration bouscule donc nos compréhensions de Jésus, de Dieu.e et par ricochet, notre compréhension de l’humain. Comment faire face à un tel bouleversement ? Pierre, Jacques et Jean, qui sont un peu nos représentants dans ce récit, sont frappés de terreur, tétanisés par la peur. Le Dieu avec lequel ils sont familiers est un Dieu qu’il faut servir, amadouer, se mettre dans la poche pour que sa toute-puissance ne vous écrase pas. Le Dieu qui se révèle ici est tout-autre : il se met au service des êtres humains, il se veut tout-aimant et non tout-puissant. Et si le christianisme nous invite à assimiler les deux notions, c’est tout un travail pour les faire coïncider dans nos représentations ! Dans cette tempête intérieure, on comprend que tous trois soient saisis de peur – réaction naturelle quand votre compréhension du monde vacille – et Pierre, toujours impulsif, tente de remettre un peu d’ordre dans ses idées et dans ses représentations. Sa proposition semble déplacée, et elle l’est. Appeler Jésus Rabbi, Maître de la Torah, semble largement insuffisant après ce qui précède. C’est une tentative pour reprendre la relation là où elle en était, pour que le monde, Jésus et Dieu.e reprennent leurs figures habituelles. Pierre sait bien quand même qu’il se passe quelque chose qui relève du divin, et il propose de se mettre au service de cette manifestation divine. C’est le rôle de l’humain dans sa représentation du monde : se mettre au service du divin. Il propose de monter des tentes pour Jésus, Moïse, et Elie. Proposer de monter des tentes, c’est proposer de s’installer là un moment, ne serait-ce que pour se donner le temps de comprendre un peu ce qui se passe. C’est aussi proposer d’arrêter la course du temps dans un moment de gloire qui pourrait – espère-t-il sans doute – éviter d’avoir à passer par la passion. Sa surprise, son incompréhension, sa peur, partagées par Jacques et Jean manifestent la difficulté, qui est aussi la nôtre, à laisser Dieu être ce qu’il est, sans l’enfermer dans une case, dans une image toute faite, dans ce que nous aimerions qu’il soit, et cette autre difficulté, que nous partageons elle aussi, à admettre que s’appuyer en Dieu ne nous épargne rien des épreuves de la vie. Cela nous donne l’espérance qu’elles n’ont pas le dernier mot, et les ressources pour qu’elles ne nous engloutissent pas.

En réponse à la proposition de Pierre, qui dit sa difficulté à laisser Dieu et Jésus être ce qu’ils sont, les trois disciples sont couverts par l’ombre la nuée puis redescendent vers la plaine avec Jésus. Cela nous indique d’abord que Dieu.e lui n’est pas troublé par la tentative de contrôle de Pierre : Dieu.e est Dieu.e, quelles que soient nos représentations et quelles que soient nos tentatives pour l’y limiter. Cela nous invite plus largement à ne pas figer l’autre – quel qu’il soit – dans nos représentations de ce qu’il devrait être.

Cela nous dit surtout que la sortie de la peur n’est pas dans la tentative de tout figer, mais dans la fécondité de la vie qui nous traverse et qui nous change, dans la remise en mouvement, même si nous ne savons pas bien pourquoi ni comment et encore moins pour aller où.

Cela nous dit enfin que Dieu.e lui voit en nous plus que nos limites, nos erreurs ou mêmes nos images de nous. Pierre, Jacques et Jean ne sont pas parfaits. Pierre quelques versets plus haut a été appelé Satan par Jésus. Jacques et Jean s’interrogent toujours sur comment être les premiers. Tous trois partagent la même incompréhension face à Jésus et l’abandonneront Jésus au moment de son arrestation. Bref, ils n’ont aucun mérite, aucun titre de gloire, ni avant, ni même après cet épisode. Alors à quoi sert leur présence ? Précisément à dire cela : ils n’ont, nous n’avons aucun mérite, nous faisons tous des erreurs, parfois graves, mais Dieu – lui – voit en nous plus que nos erreurs, plus que nos doutes, plus que nos incompréhensions. Il ne nous enferme pas dans nos petitesses, il nous ouvre des possibles, il nous remet en marche, il nous propose de rayonner en nous comme il a rayonné en Jésus. Il nous voit déjà transfiguré.e.s comme il sait que nous pouvons l’être, et que nous le serons. En attendant, il nous couvre de son ombre et nous invite à rester libres de toute identité figée, en marche, pour devenir pleinement ses enfants bien-aimé.e.s.

Amen

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