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10:00| | Prédications | Emmanuel Fuchs

Culte des Rameaux 2021

Marc 11, 1-10 ; Matthieu 7, 7-11 ; Ephésiens 3, 14-21  

Voilà un texte magnifique, à la scénographie parfaite. Un texte presque plus à voir, à imaginer qu’à lire ! C’est comme si Jésus avait mis en scène son arrivée. Après tout, il aurait pu arriver à pied, plus discrètement. Tout est là : la foule, les cris de joie, le tapis rouge fait de vêtements et de branchages. Mais en lecteurs avertis que nous sommes, nous voyons bien qu’il nous faut passer en mode « lecture des signes ». En effet, rien n’est anodin. On est loin pour cette entrée à Jérusalem des triomphes à la César ou des grands rois montés sur leur cheval blanc, un chameau, voire un éléphant. Mais l’âne, bien que soulignant la modestie de celui qui le monte, est un signe royal quand même. En voyant arriver Jésus ainsi monté sur un ânon on ne peut pas ne pas penser à la prophétie de Zacharie : « Tressaille d’allégresse, fille de Sion ! Pousse des acclamations, fille de Jérusalem ! Voici que ton roi s’avance vers toi ; il est juste et victorieux, humble, monté sur un âne – sur un ânon tout jeune. Il supprimera d’Ephraïm le char de guerre et de Jérusalem, le char de combat. Il brisera l’arc de guerre et il proclamera la paix pour les nations. Sa domination s’étendra d’une mer à l’autre et du Fleuve jusqu’aux extrémités du pays. » Oui Jésus arrive bel et bien comme un roi, en dépit de sa modeste monture ou plutôt en raison de sa monture il arrive comme un roi, mais un roi de douceur et de paix. Ah si la foule avait pu lire les signes, se souvenir de Zacharie. Roi, Jésus accepte de l’être, jusqu’à la croix, mais il y a un décalage entre ce que Jésus essaie de dire à travers l’image de l’ânon et l’attente messianique du roi politique que porte la foule et la manière avec laquelle la foule le célèbre. Les Rameaux c’est vraiment la fête du grand malentendu et l’on sent très vite poindre le tragique sous la liesse du jour, car on voit les prémices de cette incompréhension qui conduit à la déception de la foule, qui va se sentir trahie jusqu’à la rupture tragique.

Malgré la symbolique de l’ânon et malgré le fait que voir quelqu’un arriver sur un ânon (avec les pieds qui trainent par terre, dodelinant), ce n’est pas très classe, la foule tout à sa joie et à ses aspirations sort le grand jeu. C’est vrai que les attentes de la foule sont grandes. La réputation de Jésus, aux nombreux miracles et à la Parole d’autorité, n’est plus à faire. La foule voit dans Jésus son Sauveur, celui qui va les sauver, les libérer des Romains, permettre le retour du Grand Israël du roi David. Et la rapidité et la violence de la déception vont être à la hauteur de cette attente déçue. En cinq jours tout s’écroule. Aussi vite la foule a été prête à s’enflammer, aussi vite, déçue, se sentant trahie, sera-t-elle prête à abandonner son héros.

Ne jetons toutefois pas trop vite la pierre à la foule. Il y a quelque chose de beau aussi dans cette foule heureuse, joyeuse qui acclame le Seigneur avec ses Hosannas plein d’allégresse. La foule est joyeuse et sa joie sincère est contagieuse et nous aurions certainement à apprendre de cette foule. Sommes-nous prêts à nous réjouir ainsi tous ensemble et démonstrativement devant la venue du Seigneur ? Il y a quelque chose de beau et de communicatif dans cet enthousiasme et en même temps on le sait bien dans une foule qu’elle soit politique, sportive, religieuse, le risque est toujours grand que nous perdions un peu de notre identité personnelle. Le propre du disciple n’est-il pas précisément de sortir de la foule ? Il est intéressant de noter que le plus souvent quand Jésus s’apprête à guérir un malade, il le prend à part, il le met de côté pour qu’il soit touché personnellement.

Il faut peut-être là faire une distinction entre le peuple et la foule. Nous sommes appelés à devenir un peuple, un peuple de croyants, solidaires et attentifs les uns aux autres ; nous ne pouvons jamais être croyants tout seul dans son coin ; mais un peuple uni dans la diversité qui le compose, c’est autre chose qu’une foule où l’on peut se perdre dans l’anonymat. Devant Dieu nous ne sommes jamais anonymes !

Le problème de cette joyeuse foule des Rameaux, c’est qu’elle n’est apparemment pas prête à se laisser bouger, déranger dans ses aspirations. Elle sait ce qu’elle attend et attend précisément que Jésus réponde à cette attente, d’autant plus que cette attente, la libération, est une attente ancienne, légitime, profonde, sincère…

Or voilà que les choses ne vont pas se passer comme espéré. Mais nous devrions le savoir depuis le temps : personne ne peut entrer dans notre vie sans y mettre une forme de désordre, d’ébranlement ; sans bousculer les choses. On le voit bien et souvent pour notre bonheur quand on se met en ménage, quand on accueille un enfant, quand des amis débarquent, cela change la vie et bouscule notre manière de vivre. C’est inévitable et j’ai envie de dire à plus forte raison quand c’est le Seigneur qui arrive. Or toute à son euphorie d’accueillir son roi, le foule ne semble pas prête à se laisser déplacer ni remettre en question.

Aujourd’hui, je dois tout à la fois me réjouir avec le peuple des croyants de la venue du Christ et du rappel de cette semaine sainte tellement décisive pour notre foi, et en même temps je dois sortir de cette foule pour oser un face à face avec Dieu plus personnel, plus intime. Et je dois me poser cette question : suis-je prêt à me laisser déranger, ébranler par Celui qui vient à ma rencontre ? Ou pour le dire autrement : suis-je prêt à accepter que Dieu ait d’autres aspirations pour moi que les miennes et prendre le risque que Dieu me déçoive ?

L’Evangile nous le révèle : Dieu est là, proche de nous, à notre écoute. Il est prêt à tout pour nous, à abandonner nonante-neuf brebis pour venir à notre secours. Il nous encourage à le prier, à le solliciter. Alors à juste titre, on s’attend à ce que Dieu soit attentif à nos besoins les plus profonds et réponde à nos aspirations les plus légitimes. Pour la foule des Rameaux, on l’a dit : l’attente la plus évidente, c’est que le Messie vienne les libérer. Or ce Messie-là va les décevoir ; il ne vient pas pour cela. Il y a maldonne, malentendu !

Et nous lorsque nous prions le Seigneur, lorsque nous lui remettons nos aspirations les plus profondes, légitimes, ne risque-t-on pas nous aussi d’être déçus ? J’ai envie de dire que plus nos attentes sont élevées plus notre déception risque d’être grande ! Ou alors faut-il mieux revoir ses attentes à la baisse, avoir des demandes plus modestes pour moins risquer d’être déçus ? Mais alors quelle image cela renverrait-il de Dieu : un Dieu qui peut bien nous donner un coup de main pour les petites choses mais qui est inopérant pour combler nos grandes aspirations ! Cela ne semble pas vraiment coller avec la promesse du Christ : « demander, on vous donnera, frappez, on vous ouvrira ! »

L’autre jour, lorsque nous évoquions avec mes catéchumènes la problématique de la souffrance en lien avec la question de Dieu, l’un d’eux a eu cette belle sortie : « Dieu n’est pas là pour résoudre tous nos problèmes, il veille sur nous ! ». J’ai trouvé cette nuance très subtile : non pas attendre de Dieu qu’il se comporte comme un magicien ou un automate à prière, mais avoir la confiance que Dieu veille sur nous en reconnaissant comme le dit la Bible que ses voies ne sont pas nos voies, ses pensées nos pensées. Je peux tout demander à Dieu, je peux le prier, lui crier ma détresse, lui remettre ce qui me travaille le cœur, mais je ne peux lui dicter sa réponse. Et donc je dois être prêt à ce que je sois déçu ! A l’image de la foule des Rameaux. Mais cette foule des Rameaux, si on peut comprendre sa déception, en même temps on a envie de lui dire qu’elle s’est emportée un peu vite, qu’elle n’a pas pris le temps du recul et du discernement, probablement subtilement manipulée comme une foule peut facilement l’être. Car ce que lui offre finalement le Christ ce n’est pas moins mais plus que ce qu’elle demandait. La foule aurait dû être « déçue en bien » (comme on dit au-delà de la Versoix !). Elle attend la libération, elle recevra bien plus : elle recevra la promesse du salut.

Cela me fait penser à l’épisode du paralytique descendu par le toit au pied de Jésus. Il est certes guéri par Jésus, mais cette guérison physique devient le signe d’une guérison intérieure plus profonde « tes péchés sont pardonnés ».

A l’image du Christ qui entre à Jérusalem, le Seigneur ne cesse de vouloir se faire proche de nous, proche de notre réalité de vie. Mais je ne peux le vouloir ainsi proche et prendre de la place dans ma vie sans que cela chamboule ma vie. Suis-je alors ce matin comme la foule qui crie haut et fort ses attentes sans prendre le soin et le temps de discerner les signes, ce qui éviterait tout malentendu et attentes déçues ? Ou suis-je prêt à accueillir ce Christ qui vient ? à lui faire confiance, lui qui me connaît finalement mieux que moi-même et qui au-delà des mes attentes immédiates connait ma vie et veille sur moi, comme le chante si bien le psaume 139 « tu m’as scruté et tu connais … tu surveilles ma route et tous mes chemins te sont familiers …. Tu poses la main sur moi. Mystérieuse connaissance qui me dépasse si haute que je ne puis l’atteindre… ». Sublime psaume 139 qui chante cette connaissance que Dieu a de notre vie, son infinie proximité. Si nous attendons humblement que Dieu veille sur nous, alors nous ne serons jamais déçus, car Dieu est fidèle et nous ne laisse jamais tomber, c’est bien ce qu’il est en train de nous rappeler en cette semaine sainte où il est allé jusqu’au bout de l’amour…quitte à décevoir les attentes de foule, même légitimes.

Car ce Dieu-là comme l’a si bien dit Saint Paul : il peut infiniment plus que ce que nous imaginons ou concevons.

Alors oui laissons entrer dans notre vie « celui qui peut, par sa puissance qui agit en nous, faire au-delà, infiniment au-delà de ce que nous pouvons demander et imaginer, à lui la gloire dans l’Eglise et en Jésus Christ, pour toutes les générations, aux siècles des siècles. Amen. »    Amen

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