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10:00| | Prédications | Sandrine Landeau

De quel sauveur avons-nous besoin ?

Poser cette question est sans doute un peu dangereux… D’abord parce que quand on pose une question, on ne sait pas d’avance quelle sera la réponse, et que cette réponse peut être déstabilisante, inattendue, déroutante… Et puis se demander de quoi on a besoin, c’est supposer qu’on sait ce dont on a besoin. Or nous savons bien que parfois on se trompe sur ses propres besoins ! Qui n’a jamais conclu d’un petit coup de mou en cours d’après-midi qu’elle avait besoin d’un peu de chocolat pour se redonner de l’énergie, alors que le vrai besoin se situe plutôt du côté du repos et du sommeil ? Qui n’a jamais dit avoir besoin de tel modèle de téléphone dernier cri, alors que le véritable besoin se situe plutôt du côté de la communication et de l’appartenance à un groupe social ? Nous vivons dans un monde où l’on confond les envies et les besoins, les besoins avec les moyens de les remplir. Attention donc à la formulation « de quel sauveur avons-nous besoin ? »

Et pourtant, pouvons-nous éviter de nous poser cette question ? On ne cesse de répéter en Église que Jésus est le sauveur, que ce qui sauve c’est – cocher la case qui vous convient – la grâce, la foi, le respect de la loi ou du rituel, les bonnes actions, une bonne hygiène de vie spirituelle, etc. Hors Église, la littérature fantasy regorge de figures de sauveurs et de plus en plus souvent de sauveuses, pourvu.es de pouvoirs surnaturels incroyables et entouré.es d’une équipe d’ami.es indéfectibles à peine moins puissant.es pour les aider à sauver leur monde du mal qui menace de l’engloutir. Et dans la France qui vote aujourd’hui, chaque élection présidentielle ressemble à la quête d’un impossible sauveur (ou d’une impossible sauveuse).

Gardons donc cette question. Mais comment y répondre ? Il va nous falloir faire un détour par une autre question, guère plus facile : de quoi devons-nous être sauvé.es ? Être sauvé.e, c’est être tiré.e d’une situation où la mort ou un danger grave menace.

Il ne manque pas de choses qui nous pèsent collectivement et dont nous aurions besoin d’être sauvés : la guerre en Ukraine dont nous avons peur qu’elle ne s’étende, les autres guerres plus lointaines qui vous souffrir des millions de personnes, les incertitudes sur le devenir de ce virus qui a bouleversé nos vies depuis deux ans, les incertitudes économiques et sociales, le réchauffement climatique et l’extinction biologique massive qui fragilisent l’avenir de la vie humaine sur Terre… Face à de telles menaces, on a tendance à attendre un homme providentiel – pas tellement une femme providentielle. Un homme qui saura raisonner les dirigeants responsables des guerres et mener un processus de paix, un génie de la pharmacologie ou de la médecine qui saura trouver un remède fiable, un despote éclairé qui mènera l’humanité vers une ère de justice climatique pour tous les peuples. Bien sûr on sait que chacun a sa part de travail à faire dans chacune de ces situations, depuis sa place, avec la responsabilité et le pouvoir d’action qui est le sien. Mais on sait aussi que ça ne suffit pas, qu’il faut des décisions collectives, politiques au sens noble du terme. Et on attend l’homme providentiel qui saura régler cela… Un sauveur ?

Au temps où Jésus de Nazareth arpentait les routes de Palestine, les israélites espéraient être sauvés un jour de la valse des occupations par des peuples étrangers se succédant depuis plusieurs siècles. Ils vivaient aussi sous la menace constante de récoltes insuffisantes. Et ils attendaient un homme providentiel qui viendrait prendre la tête du peuple dans un mouvement victorieux de libération et de reconquête d’autonomie politique et économique.

Il ne manque pas non plus de choses qui nous pèsent plus personnellement et dont nous aurions besoin d’être délivrés : un traumatisme ancien ou récent qui pèse sur notre manière d’être au monde, qui entrave notre capacité à nouer des relations ou à vivre sereinement, une maladie qui mine nos forces physiques et mentales, une angoisse qui noircit nos jours et nos nuits, une dépression dont nous ne pouvons sortir, une relation toxique dans laquelle nous sommes enfermés, et tant d’autres choses. Celles et ceux que nous aimons peuvent aussi être pris dans ces filets. Tout cela existait aussi du temps de Jésus, et de nombreuses personnes venaient à sa rencontre dans l’espoir qu’il les sortirait de ces situations impossibles.

Toutes ces situations ont créé, créent et créeront de réelles souffrances, individuelles et collectives. Toutes ces situations demandent d’être prises en compte, soignées, travaillées, guéries. Mais demandent-elles un sauveur ?

Nous répondons facilement oui, aujourd’hui comme hier. Et Jésus est acclamé par la foule comme celui qui va les sauver de toutes ces situations, individuelles et collectives. Jésus honore ces attentes : puisque l’on attend un messie royal entrant dans Jérusalem, il se conduit comme tel. Il met en scène son entrée pour correspondre – au moins en partie – à ce qu’on attend de lui. Il envoie ses disciples chercher une monture, lui qui a toujours voyagé à pied, comme la plupart des gens. Et il les laisse lancer le mouvement d’acclamation en mettant leurs vêtements sur le dos de sa monture pour lui donner une allure plus solennelle. Il laisse dire aussi la foule qui lui donne le titre de roi qui vient au nom de Dieu.

Mais en même temps qu’il entre dans les attentes, Jésus les décale. La monture qu’il envoie chercher n’est pas un cheval, qui serait la monture adéquate pour un roi conquérant ou guerrier, ou un meneur aspirant à le devenir. C’est sur un âne que jésus fait son entrée, comme le roi de paix annoncé par le prophète Zacharie, pas comme un roi qui va mener son peuple dans une guerre de libération. Jésus envoie même chercher un ânon, pas encore habitué à porter un humain, donc susceptible d’écarts, de maladresses qui risquent de bousculer sérieusement l’impression de grandeur attendue d’un roi. Quand nous avons réfléchi à ce que cela signifiait avec les jeunes, nous nous sommes dit que c’est un peu comme si un dirigeant d’aujourd’hui, au lieu de se déplacer en voiture blindée, éventuellement en ouvrant les fenêtres pour saluer la foule, entrait dans sa capitale sur un vélo de seconde main…

Jésus se laisse appeler roi, mais il vient en roi de paix fragile et humble. Il n’est pas escorté par une armée puissante promettant une paix assurée par la force de dissuasion. Il n’est pas non plus escorté par une foule de dignitaires et de personnel administratif, promettant une prise en main rapide et efficace du pays et une paix prospère. Il est juste suivi par une foule mêlant ses disciples à la foule des pèlerins montant à Jérusalem, aux curieux, voyageuses, marchands, mendiantes, et même de soldats romains de tous âges, de toutes conditions physiques et sociales qui se trouvent simplement là. Il accepte le titre de roi, mais à sa façon… et il poursuit sa route. Jésus marche en avant, et ne s’arrête pas au milieu de la foule : il reste en mouvement, sans se laisser enfermer par les attentes ou les espérances. En continuant à marcher, il continue à ouvrir le chemin, à donner la direction vers laquelle orienter les attentes, la joie qui se manifeste : vers la croix et la résurrection !

Mais alors de quoi vient-il sauver tous ces gens qui se rassemblent sur son passage ? De quoi peut-il, encore aujourd’hui, nous sauver ? Après son passage son peuple était toujours soumis à l’occupation romaine, dans une certaine précarité économique, et tous les maux, tant personnels que collectifs, n’ont pas été réglés par sa venue. S’il devait nous en sauver, c’est un échec cuisant. Faudrait-il qu’il revienne pour une nouvelle tentative ? Si le succès est le même que pour l’occupation de la terre d’Israël par les romains au début de notre ère nous risquons fort d’être déçus… comme les israélites l’ont été, au point de finir par demander la mort de celui qu’ils acclamaient quelques jours plus tôt.

Toutes ces attentes que les gens d’alors avaient, toutes ces attentes que nous avons, nécessitent-elles réellement un sauveur ? Ou est-ce qu’elles demandent autre chose ? Des êtres humains sauvés par exemple, c’est-à-dire des êtres humains capables d’éviter les guerres et de vivre en paix les uns avec les autres, capables de collaborer pour chaque personne sur cette terre ait des conditions dignes pour vivre : un abri, de la nourriture en suffisance, un accès à l’eau, à la médecine, à l’éducation. Capables de préserver les conditions de possibilité de la vie pour leur espèce et pour d’autres.

Si ce n’est pas de ces situations spécifiques dont nous avons besoin d’être sauvé.es, de quoi est-ce ?

Il me semble que ce dont nous avons besoin d’être sauvés, c’est de l’absence de Dieu dans ce monde, de l’absence de Dieu dans nos vies.

Ce qui met la foule des rameaux en joie, ce n’est pas tant Jésus en lui-même, mais le fait qu’il est là, accomplissant enfin la promesse de Dieu d’être présent pour son peuple par son Messie. Jusque-là, tout ou presque autour de nous crie l’absence de Dieu. Tout ou presque autour de la foule de Jérusalem criait l’absence de Dieu.

La joie des disciples, la joie de la foule de Jérusalem vient de ce qu’en Jésus ils et elles perçoivent que Dieu est là. Au cœur de leur existence. Au cœur de leurs difficultés et de leurs souffrances. Et cela oui, c’est une vraie joie. A ce moment-là, la joie est remplie de l’espoir que cela va tout régler.

Nous qui arrivons deux mille ans plus tard, nous savons déjà la suite : la trahison, l’arrestation, le simulacre de procès, la torture, la mise à mort, la résurrection de Jésus… et celle des disciples. Nous pouvons donc comprendre peut-être un peu mieux la manière dont Dieu est présent dans nos vies et ce dont il nous sauve : une présence discrète, respectueuse, qui reçoit nos attentes et les déplace. Une présence jusque dans nos obscurités les plus profondes. Une présence lucide et aimante. Une présence qui nous sauve de nos enfermements sur nous-mêmes, de nos tentations de vengeance ou de désespérance, une présence qui nous délivre de l’absence de sens parce qu’elle nous écoute élaborer jour après jour un sens à ce qui nous arrive. Une présence qui libère en nous l’amour, la créativité et l’énergie dont notre monde a tant besoin.

Mais il est difficile de percevoir cette présence, de voir son action libératrice. Parce qu’elle est discrète je l’ai dit. Et aussi parce qu’elle agit dans le temps long, pas dans l’instantané ni le spectaculaire. Nous risquons fort alors de réaliser le vœu des pharisiens qui demandent à Jésus de faire taire ses disciples qui crient leur joie et leur espérance. Nous nous taisons parce que nous ne voyons pas la présence de Dieu dans nos vies.

Est-ce désespéré ? Non, car Jésus annonce aux pharisiens que si jamais ses disciples se taisent, que ce soient ses disciples d’un jour entraînés par l’enthousiasme des autres ou les disciples de toujours, alors les pierres crieront. Aujourd’hui est peut-être un jour où nous nous taisons… Et les pierres crient pour annoncer et exiger la paix, la vie, la présence de Dieu, pour dire à notre place l’espérance que nous avons oubliée !

Ce dont nous avons besoin d’être sauvés, c’est de la désespérance d’être sans Dieu, c’est-à-dire sans sa puissance de vie et de résurrection, sans sa puissance qui ouvre les tombeaux où nous enfermons nos élans, nos aspirations, nos fragilités.

Le sauveur dont nous avons besoin, c’est celui qui nous redit sans cesse à nouveau que Dieu est présent au cœur de nos vies, et qu’il ouvre des chemins nouveaux au cœur de nos nuits, aux cœurs de nos égarements et de nos souffrances, qu’il est le Dieu qui ne recule pas devant la croix, devant la mise à mort de l’espérance, qu’il est le Dieu qui fait se lever une espérance nouvelle, celle du matin de Pâques encore à venir. Et que rien ne pourra nous séparer de ce Dieu-là !

 Amen

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