No Video Files Selected.
10:00| | Prédications | Sandrine Landeau

« Qu’est-ce qu’il y a après la mort ? » C’était la question d’un enfant, appelons-le Nathan, alors que nous venions de raconter l’histoire des Rameaux au groupe. Nous parlions de la vie de Jésus, et comme vie et mort sont intimement mêlées, la question sur la mort a surgi. Parler de la vie, c’est parler de la mort, et réciproquement : elles sont inséparables comme les deux faces d’une même pièce.

Et le groupe de tenter des réponses à Nathan en rapportant celles qu’ils ont entendues : selon certains il n’y a tout simplement rien ; selon d’autres, notre âme est mise en enfer ou au paradis selon nos actes pendant notre vie ; selon d’autres encore notre âme va habiter un autre corps, c’est la réincarnation. Nous les chrétiens nous disons « Christ est ressuscité ! » Ce qui ne répond pas vraiment à la question, d’abord parce que cela parle du devenir de Jésus, pas encore du nôtre, mais aussi parce qu’on ne sait pas très bien ce que c’est que cette résurrection. Une réanimation de cadavre ? Cela paraît incroyable - et ça l’est, ça l’a toujours été. D’ailleurs, un quart seulement des Suisses disent aujourd’hui croire en la résurrection, et même un peu moins du quart des protestants réformés.

Qu’est-ce que nous disons donc quand nous disons « Christ est ressuscité » ? Les Évangiles s’intéressent assez peu à la question de savoir ce qu’il y a après la mort. En fait, la question des Évangiles n’est pas tant « qu’est-ce qu’il y a après la mort ? » que « en quoi la résurrection de Jésus le Christ après sa mort est-elle une bonne nouvelle pour notre vie, pour ma vie ? ». La résurrection du Christ n’est pas du tout décrite, analysée, ce sont ses effets sur les vivants qui comptent. Ce qui semble sûr pourtant, c’est qu’il ne s’agit justement pas d’une réanimation de cadavre : le ressuscité est présent en plusieurs endroits à la fois, il passe à travers les murs et les portes fermées. Il a un corps certes, ce qui lui permet d’entrer en relation, d’être vu, d’être touché, de manger, mais un corps tout autre.

Nous avons pris l’habitude de parler de résurrection pour parler de ce qui s’est produit à Pâques, et ce mot est devenu un mot technique du vocabulaire religieux dont on ne sait plus très bien ce qu’il recouvre. Étymologiquement, resurrectio désigne un jaillissement nouveau, une résurgence et le verbe suscitare veut dire lever, éveiller, provoquer. Des sens très quotidiens, tout comme le sens des trois mots grecs utilisés dans les Évangiles et les lettres pour parler de Pâques : zoo – être vivant ; egeiro – se réveiller ; et anistemi – se lever. Ces trois verbes sont utilisés dans le récit du voyage des deux disciples à Emmaüs.

Au début du récit : quand les disciples rapportent au voyageur qui s’est joint à eux que les femmes sont revenues du tombeau ouvert en disant avoir vu des anges qui déclarent que « Jésus est vivant ». À la fin, quand, de retour à Jérusalem, ceux qui y étaient restés les interpellent avec « C’est bien vrai, le Seigneur s’est réveillé ! ». Et entre les deux, au moment où les deux disciples, ayant reconnu le Christ, décident de repartir pour Jérusalem : « Ils se levèrent, et retournèrent à Jérusalem. » Oui, ce verbe utilisé pour les disciples « ils se levèrent », est traduit ailleurs et pourrait aussi bien se traduire ici par « ils furent ressuscités ». Dans notre récit sont donc intimement mêlées résurrection du Christ et résurrection des disciples, l’une après la mort sur la croix, l’autre au cœur de l’épreuve et le deuil. Regardons d’un peu plus près ce qui se passe.

Deux personnes quittent Jérusalem, le même jour que celui où les femmes ont trouvé le tombeau ouvert et vide. Ces deux personnes se rendent à Emmaüs, un lieu qui n’existe pas… en tout cas les archéologues n’ont pas identifié de façon claire où il pourrait se situer. Ils planchent sur pas moins de 5 hypothèses différentes. Si on cherche dans la Bible pas d’Emmaüs non plus. Une des identifications possibles, en suivant l’un des principaux manuscrits, serait Bethel, le lieu du rêve de Jacob dans lequel il voit des anges monter et descendre entre la terre et les cieux ouverts. À son réveil, il s’exclame « Dieu était dans ce lieu et je ne le savais pas ! », ce qui n’est pas si loin de ce qui arrive à nos deux disciples qui vont cheminer avec Jésus dans le savoir, et nous concerne aussi : cela peut nous arriver de regarder en arrière dans nos vies et de faire cette constatation : « Dieu était dans ce lieu et je ne le savais pas ! ».

Les voilà donc en route vers ils ne savent peut-être pas où. L’un porte un nom, Cléophas, qui veut dire célébrer, faire mémoire. L’autre est anonyme, on ne sait rien de lui, même pas si c’est un homme ou une femme. Voilà une belle invitation à nous identifier à cette personne qui chemine avec Cléophas sur la route de la tristesse et de la désillusion, et qui va passer avec lui d’un faire mémoire qui tourne en rond à une célébration joyeuse. Tous deux ont quitté Jérusalem, sans doute un peu par peur de ce qui pourrait arriver après la mort de Jésus : on ne peut pas exclure que les proches de Jésus soient eux aussi recherchés si jamais ils ne manifestent, mieux vaut donc faire profil bas. Mais peut-être aussi pour refermer au plus vite cette parenthèse peu glorieuse de leur vie : ils avaient choisi de suivre Jésus, l’histoire se termine par un échec, mieux vaut reprendre aussi vite que possible la vie d’avant. Ils quittent le groupe aussi, celles et ceux qui ont fait le même choix, la même erreur qu’eux. Une manière de tourner la page, et/ou le signe d’une douleur si grande qu’elle ne supporte pas d’être partagée.

Ils sont en route, tout leur être lourd de ce qu’ils ont perdu ces derniers jours et ils parlent entre eux : pourquoi en sont-ils arrivés là ? Comment ont-ils pu se laisser entraîner dans une telle situation ? Ils sont comme dans comme une bulle, isolés au point qu’ils ne s’aperçoivent pas que quelqu’un les rejoint précisément au cœur de leur questionnement, de leur recherche de sens. Leur bulle n’empêche pas Jésus de s’approcher, au contraire : c’est comme s’il avait été attiré par leurs questions, comme si cette bulle avait crié leur besoin de la présence de Jésus, pour qu’il ouvre un espace comme Dieu a ouvert son tombeau. La parole qui tournait au ressassement devient parole libérante.

Évidemment ils ne reconnaissent pas Jésus, mais comment le pourraient-ils ? Vous avez sans doute déjà fait l’expérience de ne pas reconnaître quelqu’un que vous croisez dans des circonstances inhabituelles, par exemple la caissière de la Migros que vous croisez au glacier au bord du lac, masquée qui plus est, vous semblera peut-être familière, mais vous aurez probablement du mal à la resituer précisément. Et là, nos deux disciples ne peuvent pas s’attendre à croiser Jésus sur leur chemin : il est mort trois jours auparavant !!

Jésus commence par leur poser une question, par leur demander de quoi ils parlent. Cléophas répond avec de l’étonnement et de l’agacement. Il commence par des faits relativement objectifs, puis libère la source de leur douleur : « et nous, nous espérions qu’il était celui qui allait délivrer Israël ! » Eux ont espéré qu’il était plus qu’un prophète, qu’il était le Messie attendu, qu’il allait délivrer le peuple. Et leur espoir a été déçu : leur maître s’est laissé crucifier, il a échoué à libérer Israël, il ne peut donc être le Messie de Dieu. Que les femmes aient trouvé le tombeau ouvert, qu’elles aient eu la vision d’anges affirmant Jésus vivant, que des hommes puissent confirmer leurs dire, cela ne fait qu’augmenter la confusion, mais ne donne pas d’espérance. Tout cela les dérange trop, alors ils l’ignorent et ils partent.

Même si on perçoit la déception de Jésus de n’avoir pas été compris tel qu’il était, tel qu’il l’avait annoncé, il leur répond patiemment : il leur réexplique et leur montre que la crucifixion n’est pas la preuve que Jésus n’était pas le messie mais au contraire qu’elle était un passage obligé. A travers la crucifixion, ce n’est pas l’échec mais l’amour sans condition qui est manifesté. Dieu ne cautionne pas la gloire décernée par les humains, mais s’entête à dire du bien de celui que tout le monde méprise et rejette.

Cela interpelle visiblement les disciples. Ils n’ont pas encore tout saisi, ni reconnu celui qui leur parle. Mais une brèche est ouverte : à l’approche du village, ils insistent pour que le voyageur reste avec eux, pour qu’il ne poursuive pas sa route seul et de nuit. La compassion a frayé un chemin qui ouvre à l’autre.

Le voyageur accepte et les voilà avec lui, autour d’une table, comme ils l’ont déjà été tant de fois. C’est avec le geste de bénédiction et de fraction du pain que leurs yeux s’ouvrent. Un geste familier, une odeur familière, les font soudain vibrer d’une émotion enfouie. C’est Jésus lui-même qui est avec eux. A ce moment, ils passent de la crucifixion à la résurrection. La résurrection atteste que la mort et la souffrance n’ont pas le dernier mot sur la vie, qu’un sens nouveau, une vie nouvelle sont accessibles à chaque personne à travers toutes les épreuves, à travers tous les deuils. Elle ne promet pas une vie de rattrapage, une vie supplémentaire, mais la vie, autrement.

Ce n’est pas un enseignement théorique, mais une expérience qu’ils ont faite de tout leur être. Eux qui étaient seuls en route pour on ne sait où, sont remis en route. Et même, ils retournent à Jérusalem, le lieu de l’échec qui devient le lieu de l’annonce, pour partager cette bonne nouvelle : il est vivant, il est réveillé d’entre les morts, nous pouvons vivre de nouveau ! Et ils y arrivent pour entendre exactement cette nouvelle : joie partagée, joie multipliée, joie ressuscitante !

Le récit d’Emmaüs nous en dit peu sur la vie après la mort. Juste l’essentiel : Jésus est vivant et il apporte la vie à celles et ceux dont il s’approche, comme il l’a toujours fait. Il est présent dès que deux personnes s’interrogent sur le sens de ce qu’elles vivent ; alors n’essayons pas de fuir nos douleurs et les questions épineuses qu’elles soulèvent. Laissons-les résonner au contraire, laissons-les vibrer, Jésus y habite. Il réveille, relève, puis il passe plus loin, vers d’autres.

La résurrection une vie multipliée qui multiplie à son tour. Pour la reconnaître l’histoire des disciples d’Emmaüs nous indique l’un des chemins pour reconnaître Dieu à l’œuvre dans nos vies. Et laisser de côté la question de la vie après la mort pour vivre pleinement la vie avant la mort !

Cookies

This website uses cookies. By continuing to browse the site you are agreeing to our use of cookies. Find out more