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10:00| | Prédications | Emmanuel Rolland avec François Garaï

culte 76ème anniversaire
de la libération d'Auschwitz

Exode 14

Je tiens tout d'abord à remercier les responsables de la paroisse Saint-Pierre Fusterie et le pasteur Emmanuel Rolland de m'avoir invité à m'adresser à vous ce dimanche 24 janvier. C'est un privilège qui me touche au plus profond de moi-même.

 

Voici d'abord un texte de l'Exode (chap. 14) que vous connaissez certainement et qui relate ce moment où le peuple d'Israël est pris en tenaille entre la Mer des Joncs et l'armée de Pharaon.

Et Moïse leur dit :

13  "Soyez sans crainte ! Attendez, et vous serez témoins de l'assistance que l'Éternel vous procurera en ce jour !

21 Et Moïse étendit sa main sur la mer et l'Éternel fit reculer la mer, toute la nuit, par un vent d'Est impétueux et il mit la mer à sec et les eaux furent divisées. 22 Les enfants d'Israël entrèrent au milieu de la mer, dans son lit desséché, les eaux se dressant en muraille à leur droite et à leur gauche. 23 Les Égyptiens les poursuivirent et tous les chevaux de Pharaon, ses chariots, ses cavaliers, entrèrent à leur suite au milieu de la mer. 24 Or, à la dernière veille, l'Éternel fit peser sur l'armée égyptienne une colonne de feu et une nuée et jeta la perturbation dans l'armée égyptienne 25 et il détacha les roues de ses chars, les faisant ainsi avancer pesamment. 26  Et l’Eternel a dit à Moïse : "Tends ta main sur la mer… 28 Et l'eau est retournée et elle a recouvert les chariots et les cavaliers et toute l'armée de Pharaon qui entrait derrière eux dans la mer ; et il n'en est resté pas même un… 30 Et l’Eternel a sauvé ce jour-là Israël de la main de l'Égypte… 31 Et Israël a vu la grande main que l’Eternel avait déployée sur l'Égypte et le peuple a révéré l’Eternel ; et ils ont eu foi en l’Eternel et en Moïse, son serviteur.

Que nous aimerions qu'il en soit toujours ainsi.

Si la date de ce 24 janvier a été choisie, c'est qu'elle précède de quelques jours la date de la libération du camp d'Auschwitz Birkenau, le 28 janvier 1945.

Dans le déroulement de notre année cette date est lourde de sens car elle nous renvoie à une indicible période de l'histoire humaine, celle de l'effondrement de la culture européenne, sauvée par la réaction de ceux pour qui l'humain comptait encore et qui, au péril de leur existence, sauvèrent de multiples vies et combattirent les forces qui auraient pu engloutir l'Europe sous un déluge de feu et de sang.

Cette date du 28 janvier résonne dans notre mémoire.

Faire face à cette mémoire est une tâche qui nous incombe, malgré sa pesanteur.

Faire face à cette mémoire, c'est accepter les paroles de George Bensoussan et considérer, que ces années furent

une rupture anthropologique, car ce sont des usines à fabriquer des cadavres dont les victimes furent amenées à l'assassin.

Et il ajoute :

La chambre à gaz signe ontologiquement le crime, on n'a pas tué des êtres humains mais on les a détruits… comme des insectes.

Et dans un autre registre, Yossel Krassover devant la fin inéluctable du ghetto de Varsovie s’écria :

Ce sont les dernières paroles que je t'adresse, mon Dieu en courroux : cela ne te servira à rien ! Tu as tout fait pour me faire douter de toi, pour que je ne crois pas en toi mais je meurs exactement comme j'ai vécu avec une foi sans faille.

Ce ne fut donc pas seulement une rupture anthropologique mais également une rupture ontologique, un renversement théologique car, comment à partir de là, s'adresser à Dieu, comment penser Dieu face à cet indicible.

Les rescapés des camps pouvaient-ils se contenter de recevoir les paroles de Dieu en réponse à l'interrogation de Job, et nous aujourd'hui, pouvons-nous également entendre ces versets :

Qui est celui qui dénigre les desseins de Dieu…

Où étais-tu lorsque je fondais la terre…

As-tu jamais de ta vie donné des ordres au matin, assigné une place à l'aurore…

As-tu pénétré jusqu'aux sources de la mer… (Job 38:2, 4, 12, 16

Le censeur de l'Eternel, du Tout puissant, persistera-t-il à récriminer contre lui..? (id 40:2)

Et Job s'avoue vaincu et dit :

Je mets ma main sur ma bouche, j'ai parlé une fois… je ne prendrai plus la parole… je ne dirai plus rien (idem 4-5)

Et l'âme de certains rescapés de l'enfer des camps se sont tues à jamais, ils vécurent une existence fantôme.

Et nous qui croyons savoir ce que cela fut, nous qui sommes témoins des injustices commises aujourd'hui dans notre monde, pouvons-nous nous contenter de faire comme Job, de rester silencieux, de mettre la main sur notre bouche ?

Vivons-nous un nouveau temps de la mort de Dieu ? A ce propos, le rabbin Eugène Borowitz écrivit en 1995 :

Nous vivons aujourd'hui dans un temps de la mort de Dieu. Mais ceci n'est pas une déclaration de l'homme à propos de Dieu. La "mort de Dieu" est un fait culturel. (Choices in modern Jewish thought p.195)

Un fait culturel qui nous oblige nous, ici et ailleurs, à penser Dieu. Mais n'est-ce pas un acte d'une extrême prétention et même d'une certaine arrogance car, comme le dit Maïmonide, théologien du 11ème Siècle :

… les intelligences ne sauraient percevoir Dieu. Lui seul perçoit ce qu'il est, et que le percevoir, c'est (reconnaître) qu'on est impuissant de le percevoir complètement… (Guide 1.59, p.139)

Nous sommes impuissants et pourtant, nous aimerions tant harmoniser ce qui se passe dans l'histoire et dans le monde avec une conception d'un Dieu bon, généreux qui s'occupe de nous comme au temps de la sortie d'Égypte où il nous fit sortir ביד חּקה ובזרוע נטויה  par une main forte et un bras étendu.

Mais voilà, il n'en va pas ainsi.

Et comme Yossel Krassover, nous continuons à croire en ce Dieu en dépit de tout, en dépit du mal, en dépit de la mort, en dépit des épidémies.

Dans un texte du début de l'ère rabbinique nous lisons :

Dix choses ont été créées la veille du Chabbat de la Création, au crépuscule, comme la bouche du puits (Miriam), la bouche de l'ânesse de Bil'am, la manne, les caractères de l'écriture et les tables sur lesquelles Dieu écrivit le 10 Paroles. Et certains disent : le bélier d'Abraham. Et certains ajoutent la tenaille faite avec la tenaille. (Avot 5:6)

et un commentateur du 11ème siècle de conclure :

Aucune nouveauté ne se produit dans le cours du monde qui n'était d'abord présente en la Pensée de Dieu lors de l'œuvre de la Création' (rabbi Yona)

Et Maïmonide dans son commentaire commentait ainsi les paroles des rabbins :

Je t'ai déjà indiqué que les sages ne pense pas qu'il y ait à chaque instant renouveau de volonté de la part du Créateur mais, au commencement de Son œuvre, il inscrivit dans la nature des choses, tout ce qui se produirait ensuite … soit régulièrement, soit exceptionnellement …

C'est pourquoi, au début du 19ème Siècle, le rabbin 'Hayim de Volozhin harmonisait ainsi l'idée d'une certaine puissance divine avec la réalité sombre de l’histoire :

La puissance de Dieu demande à être considérée comme restreinte par quelque chose dont lui-même reconnaît l'existence, une existence ayant sa propre légitimité ainsi que la capacité d'agir de sa propre autorité. (L'âme de la vie, p.26)

C'est ainsi que l'on peut comprendre l'affirmation d'un philosophe juif allemand d'après la guerre : Hans Jonas qui, discourant sur l'idée de la toute-puissance divine et disait :

La puissance absolue, totale, signifie une puissance qui n'est limitée par rien, pas même l'existence de quelque chose d'autre en soi. La puissance absolue, dès lors, n'a dans sa solitude aucun objet sur lequel agir. (Le concept de Dieu après Auschwitz p.32.33)

Et il ajoutait :

Si un Dieu, d'une certaine manière et à un certain degré, doit être intelligible…, alors il faut que sa bonté soit compatible avec l'existence du mal, et il n'en va de la sorte que s'il n'est pas tout-puissant. C'est alors que nous pouvons maintenir qu'il est compréhensible et bon, malgré le mal qu'il y a dans le monde. (idem p.36)

Et plus loin :

Seule la création à partir du néant nous donne l'unité du principe divin en même temps que son autolimitation, laquelle ouvre l'espace pour l'existence et l'autonomie d'un monde. La création était l'acte de la souveraineté absolue, par lequel celle-ci consentait… à ne pas demeurer plus longtemps absolue – (ce fut) donc un acte d'auto-dépouillement divin (p.41)

Nous voici donc amenés à penser que Dieu n'est pas tout-puissant ou plutôt qu'il a fait preuve de toute-puissance en créant l'univers dans un espace sans Lui, au sein duquel le monde de la création pouvait se lover. Se lover car c'est par amour que la Création eut lieu.

Mais la Shoah ?

Reprenons Hans Jonas :

Dieu, après s'être entièrement donné dans le monde en devenir, n'a plus rien à offrir : c'est maintenant à l'homme de lui donner. (p.41)

A l'homme de tout donner alors que dans les années trente et quarante du siècle passé, l'homme a désappris à donner.

Un retour sur la Torah.

Le premier verset de la lecture du Chabbat dernier, est le suivant :

ויאמר יי אל משה, בוא אל פרעה Et l'Eternel dit à Moïse, viens vers Pharaon.

Et les commentateurs disent : ce verset aurait du s'écrire ainsi :

ויאמר יי אל משה, לך אל פרעוה Et l'Eternel dit à Moïse: vas vers Pharaon

puisqu'à aucun moment il nous est dit que Dieu accompagna Moïse.

Mais c'est justement pour nous dire cela que le verset est : בוא אל פרעה viens vers Pharaon, pour faire comprendre à Moïse que Lui, Dieu allait l'accompagner et lui faire en même temps comprendre que sans lui, Moïse, Lui, Dieu, ne pouvait rien.

Seuls, nous ne pouvons rien, avec Dieu, tout devient possible.

Comme Dieu seul ne peut rien, avec nous Il peut tout.

Ou, comme le dit Eugene Borowitz:

Dieu ne peut pas tout comme Job le pensait, c'est pourquoi le mal absolu peut se produire. Avec le pouvoir limité de Dieu, l'action morale de l'humanité devient essentielle si le monde doit être sauvé. (p. 208)

C'est Lui ET nous qui pouvons donner au monde ce qui lui manque.

C'est Lui ET nous qui pouvons apporter au monde une lueur d'espoir.

Dieu est la source de la Rédemption et nous sommes ses assistants pour faire advenir cette Rédemption.

Pouvoir être ses assistants est la preuve de l'amour divin à notre égard.

Devenir ses assistants, c'est avoir la capacité de répondre à Son attente.

Sommes-nous y prêts?

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